Chroniques de femmes - EDITO/SOMMAIRE
éditions du Cygne, 2010.
« NOURRISSEZ L’ANGE QUI SE MEURT DE LUMIÈRE »
Lecture de France Burghelle Rey
Une longue analyse serait nécessaire pour que soient révélées la richesse de la forme et la profondeur du contenu du dernier recueil de Stella Vinitchi Radulescu : Le Jour en équilibre. Ne sont évoqués ici que quelques points particulièrement frappants, dont certains sont en germe dans son livre précédent : Un cri dans la neige, paru chez le même éditeur.
À la première lecture et dès le début du recueil, j’ai été sous le charme d’une écriture à la fois très sobre et originale, où les surprises surgissent presque à chaque texte. Les images ― beaucoup de personnifications notamment ―, les associations, les chutes sont autant de trouvailles. Dès l’incipit, la narratrice, déjà active, fait vivre la nature : « climat fou de toi et les pluies / dans mes yeux », annonce « je vous allume voyelles une à une », inverse le regard avec « la nuit qui nous voit » et, bousculant la ponctuation, déplace les deux points explicatifs en tête de vers pour que la chute surprenne davantage : « : les autrefois comme les pays lointains / grandissent / sous la lune ».
La grammaire, elle aussi, est revue. Elle participe d’un style au rythme atypique ― la scansion, en effet, soumise à une grande variation, nourrit grandement l’émotion ― et d’une concision étroite servie par une mise en page variée et personnelle. Il faudrait d’avantage parler de parataxe que de syntaxe dans des textes où le passage d’une image à l’autre se fait, tout au long du recueil, par une elliptique juxtaposition.
Ainsi le silence, tant dans la forme que dans le sens, préoccupe-t-il Stella Vinitchi Radulescu, qui écrit à la fin du poème « Mélancolies » : « histoire d’un silence ».
Il faut ajouter que les mots, avant même leur sens, semblent ici choisis pour eux-mêmes et aussi, pourquoi ne pas le préciser, pour leur beauté : « Mozart / avec une triste sonate » et plus loin : « Venise de l’âme ». L’auteure aime les sons, leur musique, et sait l'exprimer dans des vers comme : « le vent siffle / et siffle ». Et c’est toujours la simplicité qui l’emporte au point qu’on ne peut parler que de lyrisme naissant pour un hymne aussi discret au monde, à la vie et, par petites touches, au rapport amoureux.
La parole est de plus liée au silence dans un rapport oxymorique. Le recueil est parcouru tout au long par une tension permanente propre à trouver l’équilibre éponyme dont dépend la vie. Puisque « qui alors / après la chute des voyelles… va dire encore la vie / est belle » quand il y a risque de vide, comme l’annonce, dans sa chute et après le mot « effondrement », l’un des textes suivants. Tension entre le jour et la nuit, bien sûr, mais aussi entre le oui et le non, entre le je et le tu, entre l’ombre et la lumière. Un des plus beaux vers, écrit d’ailleurs en italique : « nourrissez l’ange qui se meurt de lumière », évoque cette dernière opposition. Il sert de sous-titre pour une œuvre qui, tout en voulant les nourrir elles-mêmes, se nourrit d’antithèses et veut les nourrir.
La résolution des contraires, cependant, n’est pas exclue et, même s’il y a danger, dans la première partie la narratrice annonce déjà : « il me reste encore / le risque de vivre penchée au bord / de l’abîme ». Ce qu’il convient d’appeler une quête existentielle est allégé régulièrement par les références à la nature et par un chromatisme vivifiant. Ce goût pour la couleur s’exprime au sein d'une nouvelle réalité à la fois salvatrice et ouverte. Il touche les créatures : la fourmi est d’or, l’araignée est rose et concurrence le crépuscule, mais surtout il y a le rouge, celui du sang, celui de la vie qui naît : « le rouge / de ces aubes ».
C’est dans les derniers textes que l’équilibre menace de vraiment se rompre et que le néant n’est pas loin, comme l’annonçait le titre de la seconde partie : « Au bout du jour ». On voit là que « le soleil va mourir », que « les anges pleurent », que le vide et le plein luttent encore et que l’identité elle-même devient floue avec ce cri : « je ne m’appelle plus ». Tout se désarticule : un voyageur est sans tête, l’autre est sans cœur, l’amour aussi est « de passage », et l’acmé est atteinte avec « la clarté / du / noir », expression à la découpe haletante qui attend l’errante.
Par la suite, des expressions en italique indiquent la fin de la quête. La narratrice n’a plus d’espace sur ses lèvres, a le cœur en alerte pour crier « j’habite une douleur » et inscrit, après les mots « tu parles », un dernier « non » puisque « le monde en vain s’écrit en lettres creuses ».
Mais, à la toute fin, une surprise est réservée au lecteur et Le Jour en équilibre, cet équilibre qui ne tenait qu’à un fil, est bien, comme je l’avais pressenti, une œuvre ouverte, voire optimiste. Stella Vinitchi Radulescu m’y a tenu en haleine jusqu’au dernier texte. Elle y annonce, avec excellence, son ultime volonté en écrivant : « je veux rimer bonheur avec quoi que ce soit ». Elle qui voit, alors que sa phrase n’est pas finie, l’automne venir, va-t-elle trouver, grâce à l’écriture, ce bonheur parmi les « mots interdits », ce bonheur qu’elle évoque dès les premières lignes de son recueil ?
France Burghelle Rey
D.R. Texte France Burghelle Rey
pour Terres de femmes
Stella Vinitchi Radulescu, poète d'origine roumaine, a écrit plusieurs recueils publiés en Roumanie, aux États-Unis et, plus récemment, en France. Le Grand prix « Art et Poésie » lui a été décerné en 2007 pour son livre Terre interrompue. En 2008, elle a reçu le Grand Prix de Poésie « Henri-Noël Villard » pour Un cri dans la neige. Elle a également publié dans de nombreuses revues en France et à l'étranger.
■ Voir aussi ▼
→ (sur UniVerse) une notice bio-bibliographique (en anglais) sur Stella Vinitchi Radulescu
→ (sur books.google.fr) le recueil From Heaven with Love
Retour au répertoire de septembre 2010
Retour à l' index des auteurs