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51. Seul en piste (2)

Publié le 09 septembre 2010 par Irving
-Le futur, c'est le seul truc auquel tu penses, c'est pour ça que je suis là. Tu en parles tout le temps, du futur. Tu rabâches sur les choses que tu voudrais faire, que tu devrais faire, et au final tu reportes. Et tu sais pourquoi tu les reportes ? Parce que tu aimes l'idée d'être une personne en devenir. Tu te réjouis en voyant le chemin qui reste à parcourir. Le futur, putain, tu l'aimes tellement... Je sais pourquoi tu pleures, et tu le sais aussi. Aujourd'hui il n'y a plus de futur. La seule perspective qu'il te reste, c'est la fin de la journée, et au delà que dalle. Je suis venu te parler du vrai futur. -Tu as fini ? -Le vrai futur s'éloigne, continue Xavier. Roger a déjà dit ça avant lui. Combien d'autres encore ? Je ne suis pas d'accord, dans tous les cas. Je viendrai à bout de cette journée, et il y aura un après. Xavier se met à m'expliquer que dans le futur dont il vient, j'ai réussi à empêcher la catastrophe qui se produit aujourd'hui; mais ça aussi je le savais déjà. Je sèche mes larmes et ravale ma tristesse, pour un temps. La fumée se dissipe peu à peu, révélant un champ de bataille vide, parsemé de cadavres, dont celui d'un serpent géant. Même si j'y ai participé à ma manière, j'ai l'impression d'arriver après la bataille. Xavier avance que nous devrions nous remettre en route, et aller affronter Irving Rutherford à la maison de la Radio. Encore une chose que je savais déjà. Je secoue mon corps, m'ébroue comme un chien mouillé pour me débarrasser de l'épaisse masse gélatineuse dont je suis couvert. La fatigue me tourmente plus que les regrets ou la peur. Je voudrais simplement m'allonger et dormir, et quelque chose me dit que si je ne le fais pas bientôt, je ne serai plus jamais en phase avec ce qui m'entoure. Que dans quelques heures j'oublierai même qui est réellement Xavier. Mon compagnon le voyageur temporel ramasse une mitraillette sur le corps d'un soldat tombé au combat, et me suggère de faire de même. Quand je refuse poliment, il me demande avec ironie si je préfère les épées. Un nouveau sanglot me remonte dans la gorge quand je réalise que c'est lui qui m'a appris l'escrime. Nous nous remettons en route. Je passe mon temps à me remettre en route. Je m'arrête jamais et ça aussi ça me fatigue. Dans quelques heures je cesserai de me plaindre. Je traverse un long chemin geignard et nombriliste, qui touche à sa fin. J'ai essayé de devenir adulte, mais maintenant, au point où j'en suis, je me contenterai de rester jeune. De sortir boire des verres avec des amis et d'aller au cinéma. Vivre de petits boulots me suffirait, sans que j'espère quoi que ce soit d'autre, et sans que cela me peine non plus. Perdre mes gallons et redevenir un simple troufion dans l'armée des perdants. Honnêtement, j'aurais voulu être un homme meilleur, mais mon échec dans ma tentative pour y parvenir ne m'affecte plus vraiment. -Allons exploser la gueule de ce mec, dis-je. Nous longeons la Seine vers les beaux quartiers, qui eux non plus n'ont pas été épargnés par les bombardements. A peine si les avions ont eu la délicatesse de préserver la tour Eiffel. Lorsque parfois un obus tombe un peu trop près de nous, Xavier sursaute et se demande à haute voix à quel moment tout a pu merder à ce point. Je finis par lui répondre qu'auparavant je croyais que ça avait commencé quand les gens ont voté à droite aux dernières élections, mais que j'ai dorénavant compris que les gens ont pratiquement toujours voté à droite. -Il n'y a pas de moment précis, dis-je. Ça se fait petit à petit. Je vois même pas pourquoi tu es revenu aujourd'hui, parce que c'est pas un jour plus crucial qu'un autre. Il cogne du pied dans une canette vide, et l'envoie valser devant nous, tellement loin que je la perds de vue. J'ai brusquement envie de courir après pour la rattraper, en criant « Reviens ! » comme l'abruti que je suis. -Un peu d'amour propre, me conseille Xavier, qui a toujours su lire les pensées. -C'est pas mon fort. Et pourtant, en le disant, je me rends compte que j'arrive plus ou moins à me supporter ces jours-ci. Je me dis que ça va durer. Nous abordons la maison de la Radio par l'entrée principale, éventrée par une roquette. Le hall d'accueil est recouvert par une poudre grise, faite de briques réduites en cendres. Des câbles arrachés derrière un bureau témoignent du vol des ordinateurs. -C'est grand, remarque Xavier en jetant un coup d'œil au plan du lieu. -On va se séparer. Il rechigne face à ma proposition. Il argumente, essaye d'imposer son point de vue, mais je reste catégorique. Finalement, il part de son côté, suivant un long couloir, en me disant qu'il me retrouvera plus tard. -Je le sais bien. Je me laisse glisser le long d'un mur, pour m'asseoir en tailleur. Je frotte mes mains sur mon visage, puis reste quelques secondes à fixer le sol, les yeux et la tête vides. Il n'y aura pas de final grandiose. Irving me trouvera, ou je le trouverai, mais rien ne presse. Nous sommes chacun deux pions sur l'échiquier, et tout ce que je fais là c'est m'occuper de mes histoires personnelles, qui n'auront aucune incidence sur rien. Je me lève et vais déambuler dans les couloirs. Je passe devant le studio d'enregistrement d'une de mes émissions préférées, qui a miraculeusement été épargné par les pillages, et cela suffit à me faire plaisir. Brusquement, un déclic se fait dans ma tête. Je me mets en quête du studio de France Info, sachant qu'Irving s'y trouve. Je le sais parce que c'est une idée que j'aurais eu, même si j'y aurais renoncé. Plus grand monde n'écoute la radio en temps normal, alors ces temps-ci... Sans m'en rendre compte, je commence à courir dans la maison de la Radio, priant pour ne pas croiser Xavier, et pour en finir vite et aller me coucher. Je sillonne le grand bâtiment vide, enflammant parfois la moquette lorsque je cours trop vite. Je brûle pas mal de trucs, mais je me console en me disant que si je ne fais rien, l'autre connard finira par incendier le monde entier. Je débouche chez France Info. Je m'arrête devant la porte pour reprendre mon souffle, en me donnant des petites claques sur le visage pour me réveiller. Je sens la présence de mon jumeau maléfique à travers le mur, plus forte que jamais. Elle m'appelle et me nargue, et si j'étais un peu moins peureux j'entrerai tout de suite pour affronter mon destin. Mais je reporte encore un peu. J'ouvre une fenêtre pour respirer l'air frais, et fumer une cigarette imaginaire. Je réalise avec stupeur que ma dernière tentative pour arrêter la clope s'est avérée fructueuse. Bercé par le vent frais qui aspire avec lui les ondes maléfiques provenant du studio d'enregistrement, je me demande pour la première fois depuis longtemps ce que je ferai demain. La porte s'ouvre, et Irving fait irruption dans le couloir. Instinctivement, je forme une petite boule de feu entre mes doigts, que je lance sur lui. Il bondit en l'air, et esquive mon projectile pour aller s'accrocher au plafond comme une araignée. -Bordel, mais je pourrai jamais me débarrasser de toi ? me demande-t-il. -Tu prends tout à l'envers, mon pote. Je jette une deuxième boule de feu, qu'il esquive encore en se laissant tomber pour m'écraser son talon sur le front. Je tombe à la renverse, et il profite que je sois à terre pour me rouer de coups. Je sens un léger craquement au niveau d'une côte, et maudit mon jumeau maléfique pour m'avoir cassé un os qu'on ne peut pas plâtrer. Il me soulève à bout de bras, et je me débats quelques instants, avant qu'il ne me projette contre un mur, qui se casse sous la violence du choc. Je roule par terre, et tousse à cause de la poussière de brique. Cette fois j’évite de faire l’inventaire de mes os bisés. Je vole à sa rencontre, la tête la première dans son ventre, et il pousse un cri étouffé, signe qu’il n’arrive plus à respirer. Je l’attrape par le col et lui colle un coup de genou dans le nez. Sa main agrippe mon visage, et des griffes lui poussent qui m'entaillent jusqu’au sang, mais je ne lâche pas prise et lui donne un autre coup. Il finit par retrouver son souffle, et attrape mon pied pour me projeter en l’air, avant de me rabattre violemment sur le sol. Il recommence l’opération plusieurs fois, se servant de moi comme d’une massue pour démolir un obstacle imaginaire. Je roule sur le dos, mais il est obstiné et bloque mes bras avec ses genoux pour m’immobiliser. Il entreprend ensuite de me démolir le visage à coups de poings, et me casse une ou deux dents. Haletant, ruisselant de sueur, il finit par sortir un revolver, qu’il arme avec un bruit métallique strident. Complètement sonné, son image me paraît lointaine, et je le distingue vaguement pointer son arme sur mon front. Sans réfléchir, je lui crache un long jet de flammes au visage, et il me lâche pour aller se rouler par terre dans un hurlement de douleur. -Tu connais l’écrivain guerrier ? Il ne me répond pas. Nous restons allongés quelques instants, épuisés. Quand il me propose une petite pause, je lui rétorque que de toute manière ce combat est gagné d’avance pour moi, puisqu’il sort directement de mon imagination. Une grande tristesse s’empare de moi. Je jette un coup d’œil à mon jumeau maléfique, qui a les mains posées sur son visage brûlé et ensanglanté. J’y vois mon propre reflet. -Personne n’écoute plus la radio, dis-je. A part les riches et les bricoleurs. -Et les militaires, sanglote-t-il. Subitement, tout s’éclaire. Un vague sentiment de compassion s’empare de moi, en regardant cet autre moi-même déchu qui s’occupe lui aussi de ses histoires personnelles. Au fond je n’ai jamais pris le temps de le connaître. -Disparais. A peine ai-je prononcé ces mots qu’Irving part en fumée. Même si je sais que c’est passager, j’ai les idées claires. Je sais pour un temps qui je suis, et pourquoi je suis ici. Je sais ce qui me reste à faire. Je me relève et pénètre dans le studio, dont Irving avait déjà allumé tous les appareils. Je vais jusqu’au micro, et hésite une seconde, avant de regretter d’avoir hésité. -Je suis Irving Rutherford, dis-je calmement. Les rebelles ont pris toutes les places fortes de la capitale, comme vous pouvez le constater. Je demande aux forces armées une reddition immédiate, et je promets qu’aucun mal ne leur sera fait. C’est fini. Nous avons gagné. Je coupe le micro et m’allonge par terre, en fermant les yeux. Je fais des efforts pour ne pas m’endormir. Mes idées recommencent petit à petit à perdre leur clarté, et je retombe progressivement dans ce monde obscur que je connais si bien. Je me demande un instant si ce que j’ai accompli aujourd’hui était sensé. La voix d’un homme me tire de ma rêverie. J’ouvre les yeux, et le découvre qui m’observe avec curiosité. Quand je lui demande ce qu’il fiche ici, il me répond qu’il s’adapte à l’air du temps. J’essaye d’ignorer sa remarque bizarre, et lui demande son nom. -Xavier, m’informe-t-il. -Irving.
Note : Réécris tout depuis le début
Prochainement : Irving a gagné

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