Moi aussi, Chère Intrépide j’ai eu des lapins nains. Deux. Bunny 1. Et Bunny 2. Pas très original tu vas me dire. Comme prénoms. Certes. Lol. Mais j’ai des excuses : Fifi venait de me sortir de la rue. Et on avait pris un appart. Ensemble. Le premier pour moi depuis que j’étais dans le Sud. Le premier d’une série de 12 qu’on allait partager. Lui et moi. En 20 ans. Plus tard…
Là je m’étais retrouvée, plus perdue que jamais. Face à ce qui avait été non pas un cauchemar. Ni une adaptation cinématographique de ma vie dans un monde parallèle. Mais ma réalité. Mon vécu. Face aux deuils auxquels je n’avais pas eu le temps de penser. Pour survivre. A la mort. En plus de survivre à la vie. Face à une évidence : je n’allais jamais revoir Mohamed et Théo. Même pas en restant le plus souvent possible avec Rachid. Comme si avec lui, y’avait plus de chances que je les croise. Même en forçant tous les voyants du monde à me dire qu’ils allaient revenir. Je crois que j’avais même plus envie de toucher ce rêve qui m’avait tenue jusqu’alors : voir l’avenir. Etre à l’abri. Du danger. Un jour…
Ce jour là était arrivé. Pourtant je n’arrivais pas à savourer cette nouvelle liberté. Ce n’était pas si magique que ça. D’être économiquement viable. Crédible. D’entrer dans le panel. Même sur la Côte d’Azur. Avec son soleil. Ses plages. Ses marchés nocturnes. Ses petits villages pittoresques. Provinciaux. Même avec l’APL. Le RMI. La sécu. Tout le tralala. Même si j’étais encore jeune. Et belle. Malgré les marques sur mon visage. D’avoir trop pleuré. Et trop ri. Trop bu. Aussi. Trop cru. Que le temps s’était arrêté. Et que je ne vieillirai pas. Après une courte période euphorique, je m’étais sentie plus seule que jamais. Sans ami. A part Fifi. Mais c’était plus qu’un ami Fifi. C’était un Ange. Pour moi. Et je voulais pas le décevoir. C’était le seul à me croire. Quand je disais qu’un jour, j’écrirais un bouquin. Pour me venger. Même s’il savait même pas de quoi. Il était toujours là. Juste là. Là quand je m’auto mutilais. Et que je me dégoutais. De faire ça. Devant lui. Sans aucune pudeur. Plus aucune dignité. Là quand je dégueulais mes trippes. Mon cœur. Encore écorché vif. Là quand je revenais de mes expéditions nocturnes. En vrac. Ou qu’il fallait me récupérer. En des lieux dont j’ignorais tout. Il était là. Encore là. Toujours là. Pour que je meurs pas. Excepté la journée. Parce que Fifi, il travaillait. Et que limite, j’aurais préféré qu’il ait une meuf. Qu’un taf. Pour qu’il soit tout le temps avec moi. Parce que sans lui, j’avais peur. Peur qu’un jour il se dise : « Tout ça pour ça ! ». S’il m’oubliait. Ou s’il n’était pas là. Pour pas que je pense. A l’autre délivrance.
Un soir, en rentrant, alors que j’étais tellement barrée que je me croyais en 1973, et que je le prenais pour mon père, je pleurais à chaudes larmes. Parce que ben comme on était en 73, dans ma tête, j’avais 9 ans, et que j’étais triste, pour mon âge ; il m’avait alors demandé tendrement :
« Ca te dirait qu’on adopte un petit compagnon ? Un petit animal, par exemple ? Un petit être vivant qui dépendrait de toi ? »
Et comme j’avais 9 ans, je lui avais répondu :
« Oh oui… oui… ce serait formidable. Un petit lapin nain. Je l’appellerai Bunny. Et il sera rien qu’à moi… »
Il m’avait répondu :
« Allez sèche tes larmes, tout le monde va croire que c’est moi qui te fais pleurer », alors que y’avait personne. J’avais rigolé. Y’avait eu le dernier rayon de soleil de la soirée. Il m’avait fait croire :
« Regarde, le soleil revient, quand tu es heureuse ».
Il me faisait penser à Zorg. Dans 37, 2. Pourtant je l’avais pas vu encore. 37, 2. Quand j’avais 9 ans.
Cette nuit là je m’étais endormie en feuilletant les trois suisses. Pour rêver devant les cages. Et pis aussi parce que Fifi, il avait qu’une moto. Et que je me voyais mal rentrer de Toulon. Avec un lapin. Dans une cage. Sur le 500 RG gama. Et pourtant, le lendemain, quand j’avais vu les deux fauteuils metteur en scène super à la mode à l’époque qui trônaient comme des rois dans la vitrine du magasin jouxtant l’animalerie, j’avais pas hésité : je les avais pris aussi. Sur la route, cage et lapin sur le réservoir, fauteuils metteur en scène pliés, bien calées sous chacun de mes bras, on n’était pas passé inaperçu. J’avoue. Comme chaque fois qu’on faisait les courses. Et que c’était l’expédition. Quand on revenait chargé à bloc. Entre le pack de lait. La lessive. Ou les boites de conserves. Tout ce que je voulais mettre dans le chariot. Et qui pesait trois tonnes. Une fois que c’était sur mon dos. Et j’avoue que la moto, franchement, je préférais quand c’était pour rouler à 280. Se taper la bourre avec ses potes et son frangin. Dans les virages. Entre Bormes les Mimosas et Saint Trop. Quand tu passais par la forêt. Et qu’avec la vitesse, tu pensais plus à rien. Rien qu’à la confiance que t’avais dans le pilote. Rien qu’à te laisser aller. Epouser les courbes de la route. Quand la moto se couche. Et que ton genou frôle le sol. Rien qu’à bien t’accrocher. Quand le pilote veut se la jouer. Sans crier gare. Et que d’un coup tu vois le Ciel. Parce que tu roules sur la roue arrière. Et que tu sais que si tu bouges d’un centième de millimètres, ça peut tout faire foirer. Déséquilibrer. Faire basculer la moto. Et ta vie. Rien qu’à te la jouer quand, une fois la mécanique retombée sur ses pattes, tu trouves que t’as pas assez défié la mort. Et qu’en fin de partie, tu décides d’ajouter un peu d’adrénaline en te mettant debout. Sur les cales pieds. Tout en lâchant le pilote. Pour lever les bras au Ciel et crier :
« Wwwwwwwwwwwwooooooooooouuuuuuuuuuuuuuuuuhhhhhhhhhhh… je suis la reine du mooooonnnnnde… Viens me chercher la mort si t’es si forte !!! », mais que tu sais qu’elle viendra pas. Parce que t’es jeune. Parce que t’es con. Parce que pour toi, elle vient jamais. De toute façon. Et parce que tu t’en fous. Aussi. De crever. Tellement t’es bien. Tellement tu te sens puissant. Tellement t’es inconscient. De te croire encore au Castelet. Entre deux bols d’or. Sur le circuit des amateurs. Hors course.
Ce jour là donc, on avait fini par rentrer tant bien que mal à bon port. Après un long voyage d’à peine 40 km. Mais qui faisait plus. Un retour sans adrénaline. Ni pour Fifi. Ni pour moi. Ni pour Bunny. Mais sans encombre. Tout ça pour qu’en final, on préfère voir Bunny à l’extérieur de sa cage. Fifi et moi. Tout ça pour qu’en final, il ronge le bois des chaises metteur en scène. Et qu’il s’électrocute. En bouffant le fil de la télé qui berçait le début de mes nuits. Au bout de 10 jours, Bunny avait rejoins le Paradis des lapins. J’étais anéantie. Toute façon, je savais que j’étais incapable de m’occuper de quelqu’un. Tout le monde mourait à mon contact. Même les lapins. Je portais la poisse ou quoi ?!
Ce mini deuil avait été la goutte d’eau. Qui fit déborder mon visage. D’un océan de larmes. Qui se cachait derrière. Tous les océans de la terre. Des flots et des flots d’hémoglobine qui sortaient de mon cœur par mes yeux. Un Tsunami que Bunny avait déclenché. De sa toute petite vie. Qui méritait bien une rivière. Repose en paix Bunny :’(
Ce n’est qu’un an plus tard que j’avais retenté l’expérience. Dans un nouvel appart. Plus petit. Non meublé. Mais moins cher. Et avec une terrasse. Quelques fleurs. Dans le petit port de La Favière. En bord de mer. Dans une petite résidence où on était les seuls locataires à l’année. L’hiver, c’était désert. L’été, c’était blindé. On payait 1800F de loyer mensuel. Un peu moins, donc, que ce que l’estivant déboursait pour le même confort. Mais à la semaine. C’est pour ça que ça valait le coup. De camper tout l’été. Et de sous louer. C’est ce qu’on avait fait pendant 4 mois. Avant de quitter le Var. Il nous fallait de la thune pour monter sur Paris. 1800F x 4 x 4 = 28800F. En plus, qu’est ce tu t’en fous qu’ils démontent tout, les gens, chez toi : tu vas partir !… Nous n’avions pas eu à nous plaindre. De ce côté-là. Ce qui nous avait permis de vendre également tout le mobilier qu’on avait acheté. En 2 ans. A crédit. C’était le début des cartes pass, finaref et compagnie. Avec le petit salaire de Fifi, on les avait toutes.
Bref.
Bunny 2 était arrivé dans ma vie en voiture. Quant à lui. Une méhari kaki que le père de Fifi nous avait donné gratuitement. Et qu’on avait lâché pour 5000 francs. Egalement. En partant. Je n’avais pas plus d’imagination quant au sobriquet dont j’allais affubler mon nouveau petit compagnon. Mais forte de ma première expérience « lapinale », j’avais dissimulé tout ce qui reliait mes appareils électriques aux murs de l’appartement. C’est donc tout naturellement dans les toilettes que Bunny 2 avait tenté de se suicider. Dès la toute première nuit. Et que si je n’avais pas été alertée par les cris stridents de la petite bête qui luttait désespérément contre la noyade, le petit lapin nain se serait fait purement et simplement aspirer par le fond de la cuvette. Quand je suis arrivée, et que je l’ai vu se débattre avec ses petites pattes qui glissaient lamentablement contre la paroi en émail qu’il tentait vainement d’accrocher pour se sortir de sa panade ; et que j’ai vu ses petits yeux en panique, me suppliant d’intervenir, je n’ai pas réfléchi un millième de secondes. Encore moins que pour les fauteuils. J’ai plongé moi aussi. Ma main. Dans le fond des cabinets. Qui happait le petit animal en détresse. Et je l’ai sorti. Trempé. Cardiaquisé. Mais sain et sauf. Son cœur battait à mille à l’heure. C’est quand, exténué, il s’était endormi contre moi, tout réchauffé, que j’avais compris qu’il m’aimait déjà. Et que je m’étais dit que ce serait pas mal. Le placard à chaussures. Une fois restauré. Que ça ferait une jolie petite chambre. Pour mon nouvel ami. Un coup de peinture. Deux trois menus travaux. Des trous partout pour qu’il puisse respirer. De la lumière, grâce au couvercle qu’on pouvait ouvrir par le haut sans crainte que Bunny ne se sauve. Du foin. Un petit biberon à eau vissé sur le côté. Deux même. On sait jamais. Il fait chaud sur la côte. Un petit lit tout en coton. Au moins si on sortait, il était à l’abri. Et c’était plus mignon qu’une cage. Fallait que l’amène chez le véto aussi. Pour ses vaccins. Lol.
Le lendemain, Bunny 2 avait son coin à lui. Il l’adorait. Et moi, je l’adorais. Lui.
Bunny vécut heureux avec moi. Et Fifi. Et fit de nombreuses galeries sous terraine. Pour passer d’une terrasse à l’autre. Par la terre qui séparait tous les appartements. Mais les reliaient entre eux. Il saccagea de nombreux jardins. Sans locataire. L’hiver. Amusa bien des vacanciers. L’été. Sauf ceux qu’étaient jaloux qu’on paie si peu cher. De loyer. Parce qu’on était d’ici. En tout cas Fifi. Mais qu’ils étaient bien contents de trouver des mécanos qui taffaient pour réparer leur pauvre voiture à toute heure de la nuit et du jour. Pendant la pleine saison.
Bunny 2 et moi nous sommes séparés en bons termes. Et d’un commun accord. Quand on est monté sur Paris. Je l’ai confié à des gens qui m’ont dit qu’ils allaient le manger. Alors je les ai pas crus. Tu me connais. En plus un lapin nain… y’a rien à bouffer là dedans. Et pis parce que j’ai vu. Qu’il serait bien. Là. Avec eux. Et leurs enfants. Et parce que y’avait un jardin. Et qu’il pourrait toujours s’éclater. Comme un vrai lapin. Nain.
Je dédie ce texte à tous les lapins. En particulier aux tiens. L’Intrépide : Charlie. Enzo. Luna. Et Oscar. RIP Oscar. RIP aussi mes Bunny’s ♥