La première fois qu’Aurélia vit Titus, elle le trouva franchement laid. En moins de cinq minutes, il l’avait déjà fustigée, mis des cornes imaginaires sur la tête et offert une rose dont il avait délicatement ôté les épines. Elle aurait dû fuir ce trou paumé, dire immédiatement au revoir à ce patibulaire propriétaire et tourner le dos à ce lac trop bleu pour être vrai. Elle était restée.
Elle avait juré devant Hippocrate d’exercer la médecine là où on l’appellerait et ne chercher ni gain ni gloire. A force de prendre ses promesses au pied de la lettre, elle n’avait pas pu refuser l’offre que lui avait fait un vieil ami de son père, originaire des lieux.
« Le village va mal, le dernier médecin n’a pas résisté plus de six mois. L’hiver a eu raison de lui. La dureté de l’hiver ou l’étroitesse de l’esprit des gens ? Des villageois fermés, hostiles au mouvement du monde. Sans oublier les étranger, les Hollandais et autres bobos déracinés et vite devenus dépressifs. L’année dernière, trois jeunes femmes mères de famille et divorcées se sont suicidées dans la région. Oui, Aurélia, ce médecin a eu raison de partir mais pas de démissionner si lâchement. Qui nous guérira aujourd’hui ? Comment stopper le fléau ?»
La tâche était bien trop grande pour les frêles épaules d’Aurélia. Ce fut donc plus par ennui, par désir de changement, par orgueil intellectuel, par fidélité bête et obstinée à l’idée qu’elle se faisait de son métier, par cohérence narrative à son premier choix qu’elle accepta ce poste de médecin de campagne. Après tout, quand on a décidé de lutter avec la mort, ce ne sont pas quelques barrages humains qui peuvent vous résister…
Aurélia signa à Saint-Castillon, résolue à «à ce que ses yeux ne vissent pas ce qui se passeraient à l’intérieur des maisons et à ce que sa langue tût les secrets qui lui seraient confiés » et certaine que son « état ne servirait pas à corrompre les mœurs ni à favoriser le crime… »