Maciej

Publié le 10 septembre 2010 par Banalalban

… Deux soldats dans le train encore une fois. Voilà des nouvelles du front de l’Est Européen, voilà des nouvelles fraîches du monde. Ils s’enfilent des bières, nous nous enfilons des bières, je m’enfile des bières. La Goldwasser est bien loin, ce n’est que de la bière. Et puis c’est reparti, la trêve sobre de ma tête réclame un pause que je ne lui accorde pas, pas de paix. Paysages incertains et chimériques dans la nuit polonaise, feux fuyants en faux-semblants dans la noirceur des temps, liquide coulant dans ma gorge rêche, photos toutes dents dehors et toute gueule de bois plus tard, grand blabla sur le pouvoir d’achat des immigrants, des touristes, sur Lech Walesa, le Solidarnosc et grandes discussions-crachats crachées sur les vitres fines du train sur tout et sur rien et qui font comme un préservatif vu de l’intérieur, tout ce que je n’ai jamais voulu savoir sur la guerre et ses reconstructions sans rien avoir à quémander et puis merde c’est sympathique ce faible son métallique de petites merdes squelettiques à la Seamus Heaney de leurs armes sur leurs âmes en acier trempé de soi, sympathique l’image de moi et de ces deux soldats, comme dans un calendrier, moi, l’anti-militant, l’anti-taré tariste, l’anti-toi, l’anti-rien, l’anti-merde.

Charmante aussi l’image de cette petite pièce dans un long train. Suis sorti de moi et regarde alentours : des tours détruites, des paysages en feu, des paysages en sang, sans attrait, sans atour, sans autour ni contour, plus rien à voir, plus rien à boire, rince-moi le gosier salopard (c'est de la bière sans paillettes d'or), tu as vingt ans et toutes tes dents, mais pour combien de temps ? La guerre rancira tes racines, flétrira tes valeurs, mordra ton empereur, tu perdras tout dans ton combat, tu n'y gagneras rien. « Je vous trouve fort sympathique, mais moi, je ne le serai jamais ». Et puis ta chambre à la forme d’une cage et la lame glissera au plus profond de toi, à crier que ta vie soit telle, que ta vie soit belle, et puis tu t’allongeras sur celle, tu t’allongeras sur tout le bien que l’on te dira, et tu feras ce que tu sauras être bien pour Le Bien.

Si cela pouvait être vrai, alors je te le dirais. Voilà Wroclaw et puis ça se dit pas comme ça et puis ah ah ah c’est bien drôle la correspondance non-correspondante en a bien du retard et puis c’est pas grave, petit soldat Maciej est là, l’a laissé les juments là-dedans, l’a laissé le pigeon finalement, alors l’est là pour moi, l’est pas si con que ça dans le fond, l’a l’air bien content l’enfant, l’a l’air tout joyeux l’morveux, l’aide un français imbibé à trouver son train et s’en vint dans l’autre. 

(Voyage en Pologne, 1973, in Apolognia)