Évagre, agité par l'esprit des ténèbres, s'était imaginé, à cause de son éloquence et de la perspicacité de son esprit, qu'il était plus sage que les sages; mais combien il s'est horriblement trompé, puisque dans ce que je vais rapporter, comme dans plusieurs autres choses, il a fait voir à tout le monde qu'il était plus fou que les fous. Voici donc une de ces maximes : «Lorsque notre âme soupire après les délices que procure la variété des mets, il faut la punir sévèrement en nous condamnant impitoyablement au pain et à l'eau.» Or, parler de la sorte, n'est-ce pas vouloir exiger que d'un seul saut, un petit enfant monte tous les échelons d'une échelle ? Je pense donc que pour rendre cette maxime saine et praticable, il faut dire : «Notre âme désire plusieurs mets pour contenter ses appétits ; ce désir étant conforme aux inclinations de la nature, nous devons user de beaucoup de prudence et d'industrie pour combattre la plus rusée et la plus artificieuse des passions; car en agissant autrement nous nous engagerions imprudemment dans une guerre très dangereuse, et nous nous exposerions au péril d'une perte éminente. Privons-nous d'abord des mets capables de nous donner trop d'embonpoint, ensuite de ceux qui peuvent enflammer les humeurs, enfin de ceux qui sont doux et agréables.»