Faéries

Publié le 28 décembre 2007 par Eric Mccomber
C’est pas blanc, c’est brun. Il a plu. Il pleut. Il neigera. Ça glace, ça dégèle, ça regèle. On a eu un mètre de neige mercredi, qui s’ajoutait au mètre du début du mois. Maintenant tout ça s’affaisse comme un grand corps paresseux grêlé de cellulite, suintant d’étrons de chien et de pisses d’ivrognes. Je suis au milieu de la scène, le soir s'est couché en plein milieu de l'après-midi. J'ai un micro dans le visage, mais pas de groupe pour m'accompagner et pas de chanson à chanter. Mon texte est simple.
— Ho ! Ho ! Ho !
— Essaie d'avoir l'air joyeux.
— Tabarnak…
— Émiiiile !
— Chuuut !
— Ho. Ho. Ho. Hoho.
— C’est mieux.
Diane fait pivoter sa féerique anatomie vers la salle et force sa bouche à sourire.
— On appelle le petit Jano !
Sarah bat des paupières. Elle est accroupie près de moi et me met tout à fait dans l’embarras en me tâtant la cuisse depuis tantôt. Elle est vraiment celle de nous qui prend le plus son rôle à cœur. Elle arrête pas de susurrer en ultrasons cette niaiserie :
— Petssii papa Noëeeeeeel… quand tu vas avoir si froiiiiid…
Elle chante les vers dans le désordre, de son haleine lourde de vodka.
— C’est un peu à cauuuuuse de mouaaaaa… Avec tes jouets par mihihihliiieeeeers…
Le gamin escalade malhabilement l’estrade et trottine jusqu’à moi. Il saute sur mes genoux et s’y installe, accroupi contre ses talons, la pointe des pieds bien enfoncée dans mes testicules.
— Ooooh ! Ooooh !
Sarah a tout vu :
— Oooh petit Papaaa Noooëeel ! Oohh !
Ma Diane, elle, est plutôt préoccupée par le bon déroulement de la fête. Elle me regarde, paniquée. Je lui adresse un sourire pour la rassurer. Je contemple ce visage. Cette figure impossible d’harmonie. Je sais que je l’embrasserai encore tout à l’heure. Je sais que je passerai mes doigts dans cette crinière. Tant pis pour mes coucounes. Le petit déficient se dandine sur moi, tire sur la barbe, qui est vraie. On l’a juste blanchie à la crème à chaussures. Belle odeur !… J’ai chaud. Le costume trop grand ici, trop petit là, miteux, puant, déchiré par endroits… Les bottes approximatives… J'essaie de me rappeler de ce que Diane m'a fait hier soir pour me convaincre. J'étais vraiment saoul, quand j'ai dit oui. Et je suis vraiment saoul, maintenant. Sarah voit que j'oublie mes répliques et parle à ma place. Boah. Tout le monde s'en fout.
— As-tu été sage, cette année, Jano ?
— Bliblibliblibleehh…
C’est un mongol pour de vrai. Il m’asperge l’encolure de salive. Diane le fixe d’un air attendri. Marie s’approche en me faisant signe de poursuivre. Mes fées des étoiles !… Mes petites elfes !… Oh, je repense à tantôt, alors qu’on se changeait dans le grand bureau du patriarche directeur d'école, elles et moi. Les quatre sœurs Desormeaux !… Ah !… Sarah me masse et cligne des yeux de biais sous sa capine de gnome des patates liquides.
— Deoooooouuuar tu vas aouaaar si froiiiid…
De l’autre côté de mon trône en papier alu, Nathalie pose une main sur mon épaule et me remet un emballage hystérique fluo avec écrit dessus en immenses lettres « JANO ». Je fous la boîte dans les mains du pauvre légume, qui donne un bon coup de talon et s’envole jusqu’au bord de la scène, où il trébuche, tombe sur le dos, glisse, et disparaît. Toute la salle  :
— Ooooh.
Moi, les roupignes arrachées :
— Ooohh…
Sarah, posant le bout des doigts sur ma trique sous le feutre rouge :
— Ohhh…
Nathalie, voyant par dessus mon épaule le manège de sa cadette :
— Eeehhh…
Ma Diane, accroupie au bout de la scène, son fantastique petit panier bien pointé vers les éclairages, tentant de secourir l’autre simplet :
— Ohhh…
Les hommes, tous frappés de plein fouet par la vue panoramique qu’offre le V de la robe de sylphide de ma Diane, qui les a mirifiques, magnifiques, durs et ronds comme des larmes de mer, comme des perles de pluie, comme des raisins d'or :
— Ouuuhhh…
* * *
Les grands-parents sont partis. Les parents sont partis. Les enfants sont partis. On va s’expliquer entre nous. Il y a concours. Gavé de scotch, je suis entré dans le sentier scintillant depuis au moins une heure. Je suis encore dans le personnage, mais je fusionne les genres. Présentement je danse avec énergie le Achy Breaky, embrigadant tout le monde, dirigeant les lignes et les pas. Je n’ai pas de ganses à mes pantalons rouges, ni de ceinture, mais je fais semblant. Tout ça tombe à mi-cuisse toutes les deux minutes. Sarah m’aide comme elle peut, hurlant par-dessus la disco.
— Tous les beaux cadeeaaauuuux que je vois en rêêêêêveeee…
Elle improvise, je crois. Ma Diane est saoule morte et parle avec le mari d’une cousine, qui ne l’écoute pas, mais prend des photos mentales de tout ce qu'il peut. Je ferais pareil, je vais pas lui en vouloir !
Je sens bien que je suis le fortuné, le pilleur du trésor familial. C’est ma destinée, on dirait. Chaque fois que j’ai consenti à me taper une belle famille, ça a été comme ça. Y a toujours un frère, un oncle, une cousine, qui bave depuis 15 ans sur ma copine et me regarde avec les canines à découvert, prêt à m’agonir de petits traits pathétiques, censés faire rire, ourdis dans le style Ding & Dong, encore et toujours une part sidérante de la culture régionale. Je me contente de sourire. Je fixe généralement les jaloux dans les prunelles avec un rictus sur la gueule, en pensant très précisément à ma tige s’enfonçant dans le goulot de leur inaccessible étoile. Ça le fait toujours. Il comprennent. Il se taisent. Il se saoulent et s’endorment, vomissent, battent leurs enfants, cassent leur voiture dans la forêt. J’en ai quoi à foutre, moi ?!
* * *
On roule dans la nuit froide et mouillée, empilés dans la familiale de Martial, pilote de chasseur-bombardier à Bagotville. Il tente de faire décoller la Volvo, on dirait. Diane est collée contre moi et me caresse résolument. Je suis appuyé dans la portière et j’espère que ça ne va pas s’ouvrir soudainement. Sarah est à côté de nous et nous épie, me fixe en passant sa langue sur ses lèvres. Son mari Martin suit derrière dans sa BM bourrée de cadeaux, des restes du festin, de costumes, de manteaux, de décorations, de vaisselle… Derrière encore, Nathalie et Gäétan ferment la parade. Nous glissons dangereusement dans les courbes. La chaussée est une patinoire recouverte d’eau glacée. Je n’ai pas très peur. Je suis trop saoul. Je caresse les cheveux de la plus belle djinn des étoiles du monde. Puis je frotte son dos, je passe la main dans le ceinturon, doucement, sans insistance, juste comme elle aime. Sarah s’appuie la tête contre la vitre. Elle lâche :
— Il me tarde taaaaant que le jooooour se lêêêêveeee…
Martial répond du tac au tac :
— Oohh yeaah… Moua itou !
Sa Marie, qui n’ouvre jamais la bouche, lâche, comme ça, sans fiel, ni agressivité, ni rien, juste avec un ton factuel qui n’admet aucun humour :
— Faudrait tu commence par bander plus qu’une minute.
Silence dans l’habitacle.
* * *
On arrive au motel. Martial gare la voiture au milieu d’un lac de glace, alors qu’à trois mètres, une section plus escarpée du parking luit sous les réverbères, presque sèche. Avant qu’on ait le temps de dire un traître mot, il a retiré sa clé du démarreur, a ouvert sa portière, a habilement sauté sur un muret de béton en s’appuyant sur le toit de l’auto, et marche en direction de l’entrée du lobby. J’ouvre la portière à mon tour, mais comme ma Diane me tend ses sacs et toutes sortes de machins, je dois me tenir là, dans 40 cm d’eau glacée. Les trois sœurs sont bourrées. J’essaie de les prévenir, mais personne n’entend quoi que ce soit. En posant le pied dehors, Diane pousse un petit cri. Sarah est tellement cuite qu'elle ne se rend compte qu’elle clopine dans l’eau que trois minutes plus tard, au bout du stationnement. Marie, elle, est sous le choc d’avoir commis cette bourde et patauge en silence, comme une zombie des neiges.
En entrant dans le portique, elle éclate en sanglots. Diane la prend dans ses bras. Sarah en profite pour me rassurer moi, en me serrant par la taille. Les sœurs entrent avec nous dans notre chambre les trois s’empilent sur le lit, consoleuses et brailleuses. Je pose la montagne de sacs et de paquets dans un coin et je m’affale sur un gros fauteuil. Ça pleure de plus belle. Je me sens pas tellement concerné. Je me fous plutôt de la bite de Martial, moi. Je me fous même de tout Martial au grand complet. Ma tête tourne.
Je prends assez vite conscience de l’odeur de moisissure qui émane de mes vieux pantalons de Santa. Mouillés des chevilles jusqu’aux genoux de boue de parking. Et humectés de la ceinture jusqu’aux cuisses de sueur de brosse. J’annonce dans l’indifférence générale que je pars prendre une douche. Je fais comprendre par signes à Diane que j’espère sortir de la salle-de-bains dans un quart d’heure et que notre lit soit débarrassé des éléments indésirables.
* * *
Vingt bonnes minutes plus tard, je m’apprête à sortir de là, propre comme un sou neuf. J’ai tassé les morceaux puants du costume contre la paroi de la baignoire et passé une immense serviette autour de ma taille, juste au cas. À l’idée de rouler une pelle à ma Diane, mon gourdin s’éveille déjà. Je pousse la lourde porte.
Il est bien insonorisé, bien moderne, le Motel Étape-Voyageur de Victoriaville. J’avais pas entendu les autres arriver. Deux des trois maris occupent nos fauteuils. Martin doit être en charge des mômes. Les quatre sœurs sont affalées sur notre lit. Toutes les têtes se tournent vers moi. Je me sens totalement mal, mais grâce à Xému, je suis si saoul que je garde la face. J’attrape d’un orteil le bout de la jambe de mon jeans qui traîne par terre, mais je vois qu’un des mecs a carrément remisé ses bottes souillées dessus. C’est un marécage de merde froide. Pas question. Je m’approche du lit, et Nathalie comprend d'elle-même, dégage et va s’asseoir sur le tapis, accoudée au bord du lit. Je me fais un monticule d’oreillers et je m’étends là. La conversation reprend.
Tout le monde parle d’émissions de télé dont je n’ai jamais même entendu le titre. Ma Diane improvise, se mêle de la discussion et partage ses opinions, même si elle n’a pas plus de poste de télé que moi. C’est un jeu qui l’amuse et qu’elle semble pratiquer depuis toujours. Je décide de ne pas embarquer avec elle, de peur que mes efforts novices ne la démasquent. Je me tais donc. Je prends mon bouquin sur la table de nuit et je sors le Morangie. J’en passe à qui en veut bien. On boit ça dans des verres de plastique. Y a pas de sacrilège !… J’explique que c’est fait pour être bu. Tout le monde rigole. Deux joints circulent.
Je me suis plongé dans mon bouquin et je n’entends plus les propos. J’ai épuisé mon répertoire de signes à Diane, qui en est désormais réduite à l’impolitesse pour mettre tout ce monde dehors, mais sans succès. Je réalise tout à coup que plus personne ne parle. Je lève le nez, croyant que c’est enfin le moment du départ, prêt à saluer la compagnie. Mais tout le monde me fixe. La dernière à avoir parlé est Nathalie, mais je ne me souviens que du son de sa voix. Elle me toise. Je me dis qu’on m’accuse de goujaterie, à raison. Je pose le livre à côté. Je rougis. Le silence s’allonge. Je dis :
— Pardon ? J’ai manqué un bout…
Nathalie s’agite un peu, s’agenouille :
— J’ai dit que chus pas sûre de pouvoir me rtenir ben ben plus longtemps.
Sarah, qui n’a pas encore retiré son costume d’elfe du Père Noël, ajoute (toujours avec sa voix de fée suraiguë) :
— Tous les beaaaauuux joujoux que je vooouaaas en rêve…
Tout le monde ricane. J’écarquille les yeux. Je regarde Diane, légèrement paniqué. De quoi parlent-elles, je n'aime pas trop l'air qu'elles font toutes. Ma copine hausse les épaules et tire sur le joint. Elle se gratte la tempe machinalement, ce qui est l’indicateur de son dernier stade de l’ébriété. Elle pouffe de rire. C’est comme un signal. Nathalie grimpe sur la douillette et empoigne le bas de ma serviette. Sarah arrive par ma droite et fait de même. Je reste absolument paralysé par le cours des événements. Elles luttent pour le trophée. Pendant un instant, bourré comme je le suis, je crois imbécilement que c’est la serviette, l’enjeu. Je la tiens fermement à ma taille. À deux, elle arrivent presque à me la retirer. Je me recule prestement, tout en ouvrant les draps sous moi de l’autre main. Juste comme on entend la serviette déchirer, je glisse les deux jambes dans la literie et je lâche prise.
La serviette va atterrir quelque part entre les deux fauteuils. Le but n'était pas la serviette. Gäétan lâche un grognement auquel Martial fait écho :
— Beeen là ?!
Elles sont sur moi. Elles ont arraché les draps et me tiennent solidement par la taille. Sarah a fait glisser la chose au fond de sa gorge et ne bouge presque pas. Elle se retire soudainement, à bout de souffle, et inspire bruyamment. Je cherche Diane du regard. Nathalie prend le relais. Elle s'agite, celle-là. C'est très brutal et violent, et à vrai dire, je trouve ça plutôt déplacé. Je regarde ma fantastique Diane. C'est d'elle, dont j'ai envie. Elle fume le joint, les yeux rivés sur son briquet. Je me recule dans le lit, elles me suivent. Marie enlève son t-shirt et gigote, les mains derrière le dos, jusqu'à ce qu'elle ait dégrafé son soutif. Ça alors. Quand je pense que toutes les filles de la famille cachent à leur mère qu'elles fument la cigarette, parce qu'elles n'ont pas encore osé l'avouer. Tout ce beau monde catho de Victo, notables, propriétaires, gens de bien ! Marie me frotte ses grosses baudruches dans le visage. Je rigole presque. Mais là une idée commence à me faire paniquer. Je vois ces deux mecs, assis-là, et je me dis, soit ils me cassent la gueule, soit — pire ! — ils se déshabillent. Ou encore… Scénario encore plus désastreux… Ooh… s'ils touchent ma Diane !… Les salauds… Je les tue !
Je sors du lit, toujours poursuivi par les deux bouches avides. Je regarde ma blonde, qui finalement me fixe. Elle ne sourit pas, ne dit rien. Marie est venue s'asseoir à côté des deux autres sur le bord du lit et nous luttons mollement, Nathalie, Sarah, elle, et moi. Je tente de virer tout ça en rigolade… Elles me prennent tour à tour dans leurs bouches, me palpent partout, les cuisses, les mollets, les fesses, c'est à croire qu'elles n'ont pas touché un homme depuis dix ans. Les deux gars restent immobiles, mais nous observent attentivement. Leurs visages sont impassibles, vernis, laqués. Bon, non, moi, vraiment, c'est beaucoup pour ma pomme. Gentiment, je repousse les six bras. Sarah, au milieu, a encore son chapeau d'elfe à la con. Je m'échappe. Deux enjambées et me voilà dans l'entrée. J'attrape mon anorak et je sors dans le couloir. La porte claque derrière moi, mue par un ressort.
J'attache le manteau, qui par chance est plutôt long, et je m'appuie sur le mur du couloir. Ouf. Où aller ? Que faire ? Les voitures sont verrouillées, le lobby est froid, les autres chambres sont bourrées de petits bambins qui dorment. Je suis jambes et pieds nus. Le tapis est mouillé. Je tente de réfléchir, de trouver une solution à tout ça. La porte de ma chambre s'ouvre. C'est Sarah. Elle me gronde du doigt… S'approche, saoule au delà de toute convention… Que va-t-elle me dire ?!
— Leee maaaaarchand de saaable est paassé…
Elle pose la tête contre ma poitrine. Je crois qu'elle va pleurer. Je crois que je vais pleurer. Je pose les bras autour de ses épaules, fraternellement. Elle me tourne le dos, s'appuie contre moi et glisse les mains sous mon manteau.
— Mais aaaavaaant de partiiiir, Il faudraaa bien te couvriiir…
Elle continue à chanter en me passant le machin. Je ne résiste plus. Elle remonte sa mini de farfadet toute argentée.
— Dehors, tu douaaa z'avoir si frouuuaaa… C'est un peeeu à caaause de mouaaaa…
Elle ne porte rien dessous. Bon. Tant pis. On y va. Je songe à ce qui se passe dans ma chambre et je suis mal, je suis triste. J'angoisse… Quel cauchemar… Les fameuses sœurs Désormeaux cathos de Victo. Les filles du directeur d'école !… Combien m'envieraient ma place ?! Elle y va… Elle ressemble beaucoup à ma Diane. La même taille. La même pêche.
Je l'arrête juste avant… Je la repousse. Je la maintiens à distance, fermement. Je dégouline, exposé. Je retire la chose, que je planque dans ma poche. J'ai soudain l'impression qu'on m'observe. Je regarde à droite, au fond du corridor, oui ! Une caméra. Merde. Soudain, de l'autre bord :
— Mamaaaan ?!
Je me tourne vers la gauche. Je sursaute ! Un petit bambin en pyjama tout mignon se tient dans la porte entre-baillée d'une des chambres. Je regarde Sarah qui rote et semble se retenir de vomir. Elle met la main devant sa bouche :
— Va te coucher, ti-loup, jvas aller chercher ta tite-maman.
— Mamaaaaan ?!
Sarah rentre dans la chambre. Je replace mon manteau avant de la suivre. Tout est rentré dans l'ordre. La pièce est redevenue un modèle de bienséance. Marie a remis son t-shirt. Ma serviette a été ramassée. Nathalie se précipite dehors pour s'occuper de ti-loup, suivie de son beau Gäétan. J'en ai assez. J'y vais carrément :
— Bon. Tout le monde dehors !
* * *
Vers sept heures du matin. Ma Diane dort, sa splendeur toute exposée. Je les borde, elle et Marie. Elle roupillent paisiblement. C'est difficile à croire, mais Sarah a gardé son stupide chapeau de fée des étoiles. Toute la nuit !… Il est tout déformé, son couvre-chef. Je caresse sa nuque, et celle de Nathalie, la plus vieille, la plus vaillante, aussi. Leurs deux maris ronflent dans les fauteuils. C'est plus aisé, pour moi, disons. Je me suis gardé pour la fin. Je suis un bon gars. Les langues, les lèvres, tout est enflé. Tout est démesuré.
— À geeeenoooux les petits enfaaaants… avant de feeeermer les paaaaupières…
Elles obéissent à la chanson et ferment les yeux. Je suis si épuisé que la paix me gagne enfin. Je me réconcilie avec tout ça, avec ma condition de mammifère.
— Et tu vaaaas pouvoiiiir commenceeeeer… Au son des cloches des églises… Ta distribution de surprises…
Elles sont sur le bord du lit. Je suis sur le bord tout court. Elles ont si bien travaillé, mes petites faéries laborieuses. J'oublie tout. Je lâche les rennes. Glaçage. Le voilà, le Noël blanc.
—© Éric McComber