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Angèle

Publié le 14 septembre 2010 par Banalalban

Angèle contemplait le corps nu de son mari sur le lit.

Ce corps qu'elle connaissait tant, ce corps qu'elle aimait tant aussi.

Ce corps qui de mille façons était le sien poursuivi, comme un.

Elle regardait les jambes à la peau fine et sèche, le ventre distendu, les veines gonflées serpentantes, les petits poils encore roux de la poitrine avec lesquels elle aimait tellement jouer, également le cou, le visage rêche, les cheveux gris clairsemés... et il faut dire que tout en l'état était ridé, vieux, parcheminé, tacheté, quand bien même et pourtant...

En témoignage de ça, une seule rupture il y avait un long moment déjà.

(_ Je m'en vais. Je pars. Je ne reviendrai jamais.

_ Mais où vas-tu Angèle ?

_ Je trouverai bien).

Ils s'aimaient depuis si longtemps, s'était vu vieillir ensemble et se passionnaient encore l'un pour l'autre quand même les photos jaunies et les moutons parfois sous les meubles quand le vent entre.

Au dehors la nuit était tombée depuis bien des heures déjà et les phares des voitures faisaient des fils changeants au travers des persiennes qui se rompaient sur les cassures et les fêlures zigzaguantes du mur de l'autre côté, là où s'effrite le plâtre en poussière.

Tout étant courbe.

Le tic-tac rectiligne pourtant de l'horloge dans le salon et les horaires précis des cachets et des médicaments.

Le klaxon du facteur à heure fixe aussi.

Les visites régulières des infirmières.

(_ Mais pourquoi diable pars-tu, Angèle ?

_ Avec toi, je ne me reconnais plus. Je ne te reconnais plus.

_ Mais pourtant toutes ces années Angèle ?

_ Je ne nous reconnais plus...).

Angèle se déposa aux côtés de son mari, cala ses petits seins flétris contre ses aisselles à lui. De sa main arthrite, elle caressa longuement son torse, joua une nouvelle fois avec les poils qui venaient accoster entre ses phalanges graciles comme de petits optimistes. Elle baisa le téton de son époux, passa son poignet le long de son cou et revint sur son ventre, la où le filin de dentelle gris toise en coulée jusqu'en bas.

Parce qu'elle avait froid, elle remonta un peu le drap sur leur corps à mesure que les lignes des phares une nouvelle fois dansaient sur le guéridon, le plâtre, et les plinthes.

(_ Tu es revenue pour de vrai Angèle ?

_ Oui, pour de vrai.

_ Pourquoi Angèle ?)

_ Les phares des voitures qui passent au travers des persiennes,

le bruit de l'horloge, le facteur qui klaxonne tous les jours pour dire bonjour.

Les photos de nous qui vieillissent dans le salon...

_ Et nous Angèle ?).

Le temps passa ainsi dans la nuit comme le chat qui hurle dehors à la lune.

Angèle était bien.

Son homme à proche.

Le seul.

Le seul qu'elle n'ait jamais aimé.

(_ Surtout pour nous en fait. Je nous aime plus que ma vie).

Et puis quand elle se décida enfin, elle prit le téléphone. Aux heures comme en écho des précipices des premiers moments du matin, lorsque tout se décroche, comme l'appareil et les touches grossies. Moins le plâtre.


"C'est mon mari. Je crois qu'il est parti... dans son sommeil... Il était bien et puis... Je ne sais juste pas quoi faire... Il n'a pas... il s'est éteint. Je suis heureuse d'avoir été là. Mais je ne sais juste pas quoi faire..."


(_ N'aie pas peur... tout ira bien maintenant que nous sommes de nouveau ensemble...)


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