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Quelques ocelles de bonheur

Publié le 14 septembre 2010 par Angèle Paoli


LE COUVENT BY GUIDU
Ph., G.AdC

QUELQUES OCELLES DE BONHEUR

Canari, Chjesa di San Francescu, Master Class 2010

  Une grosse dame très grosse taffetas bleu nuit  Lance ses notes plein volume plein corps plein ciel. Air de Micaëla.

   « Je dis que rien ne m'épouvante ». Elle : « C'est pas très juste cocotte, ne pliez pas les genoux ». On reprend. Piano.

  La grosse dame très grosse dame tour Murtella enrubannée air rubicond et bouche vermeille cheveux haut perchés sur le crâne rond tout dans la taille ronde-bosse reprend. Air de Micaëla. Piano.

  Elle, elle se croit. Un peu. Elle commande. Porte bien son nom. Ne peut s'empêcher de donner de la voix et des gestes montre tourne mime. Souriante malgré tout gentille. Jolie. Assai. Piquante. Soignée sensuelle rien de la séparation du chagrin qui se vit du temps qui passe de ce qui n'est plus d'elle de lui ne se lit sous le fard.

  À l'angle de l'autel sultan Mourad pousse une voix qui sourd des tréfonds de l'enfer peut-être un feulement avec éructation retenue sur certaines notes l'homme à la houppe s'impatiente   Micaëla s'en va grosse dame tour de taille tour d'amour tour d'ébène taffetas bleu nuit flottant autour taille énorme forme informe glisse en canard de soie pieds palmés en aplat sur les dalles mortuaires de Saint-François.

  Piano. Inspiration suspension retenue lancement : « Come raggio di sol / mite e sere-eno » belle voix sourde profonde chaude petit homme à la houppe gilet fleuri farfadet précieux et vif va chercher loin au fond là-bas dans les forêts lointaines de mes rêves Baïkal les larmes anonymes de « mite e sere-eno » jusqu'où descendre Baïkal serpent de mer qui frôle les hauts-fonds les notes plongent encore encore toujours plus loin toujours plus bas dans les abysses noirs de la musique.

  Elle : « Colorez davantage, dégagez un peu le son. On recommence ». Piano.

  « Come raggio di sol / mite e sere-eno » gestes suspendus au-dessus des flots de Faust en attente du mal qui sourd
  Elle, reprend. La voix au bord des lèvres aspire les sons pince les notes arrondit
  Elle, se moque des petits gestes appuis sur lesquels il pose son rythme petit farfadet rond précieux sultan Mourad
  Elle, trace la ligne des sons l'horizon d'où les notes doivent prendre leur envol se déployer s'élargir s'élever.

  [La voix et le sexe quel sexe sous la voix en dessous au-delà quelle pose du sexe forme du sexe pendant que la voix s'exhibe s'expulse se déroule anneaux et cris volutes de plaisir ?]

  [Petit mitron baryton rondouillard pousse son rot devant la glace en se coiffant le matin peigne « almain » avec gel petite voix de fausset aiguë puis grave sous le ventre rond de prud’homme précieux œil noir cerclé de khâl]

  [On s'ennuie parfois à toujours repasser par les mêmes chemins de ta voix sultan Mourad !]

  Elle, se lance se déploie buste en avant mains dans les poches du denim désirable belle voix chaude sexuée vibratile qui monte s'élargit pousse en avant les notes reviennent prolonger tirer encore dans les sous-bois du monde musical   Lui, reprend Elle, l'arrête écho répétition avec gestuelle duo de mimiques.

  Elle, balancement féminin sensuel chaud mime les rondeurs du désir ampleur des gestes souplesse Lui toujours petit rondibilis de BD plutôt que sultan Mourad d'opéra fait des ronds de jambe petit coq un brin ridicule.

  Elle, moulinets étirements joue sur son épaule Lui distrait Elle recommence tourniquet entrechat pas de deux Elle et Lui voix chaude d'elle qui ponctue « c'est pur c'est simple c'est beau ». Pirouette. Piano.

  Farfadet baryton sultan Mourad reprend autre air guilleret coquin joue avec elle petit raminagrobis petit cul serré gilet fleuri tendu sur le bedon comédie all'italienne Don Giovanni. On reprend. Piano.

  « Il catalogo è questo/ mille tre »

  Lumières d'automne à travers les vitraux l'eucalyptus joue et tremble le duo de séduction se poursuit quelle comédie se joue derrière la musique « Il mio tesoro intanto » escarpolette barcarolle sultan Mourad gilet tendu sur les rondeurs.

  [Et si le petit-tout soudain se dressait même posture des reins cambrés regard perdu dans le lointain ou absorbé dans la contemplation des pieds tiens-toi tranquille à l'abri dans ta flanelle ce n'est pas le moment c'est l'heure lyrique voyons !]

  Elle, geste ample rond large qui monte il la caresse la toise familier du regard elle, n'est pas commode pourtant chantonne se caresse l'ourlet de l'oreille lance des œillades duo d'amour les amants se séparent vrai faux duo d'amour imaginaire réel lequel ?

  [Un couple se faufile entre les bancs Coucou on est là vous nous avez vus ? C’est nous nous sommes indispensables dans le décor de Saint-François Et vous croyez-vous que vous le soyez autant que nous ? Elle le taquine lui tire l'oreille caresse la joue tapote l'épaule œillades complices sourires doucereux qui trahissent leur duo d'amour del pomeriggio Lui se garde de ses gestes crainte de se trahir.]

  Jeune pâtre grec colère s'avance sombre engoncé dans sa pelisse rosefluo conciliabules et désordre tout tombe objets boites bruits un rai de lumière joue sur mes pieds tantôt oui tantôt non.

  Elle, interrompt les premières mesures : « Chantez toutes les notes on reprend ». Piano.

  « On reprend tout tout tout : je veux une mesure complète ». Sueur froide désespoir « Allez on y va IAAA [aaaa] en bas » voix puissante de Mephistophélès « tu vas sortir de ce funeste lieu »/« il faut nous dire adieu »
  Elle, « appuyez sur le Di oui, dans le nez contre les cloisons à l'arrière » !

  [Que pense-t-elle vraiment elle pense qu'elle s'ennuie sauf quand elle chante.]

  On reprend : « dans tes yeux tout baignés de larmes » Don Carlo. Non pianger.
  Elle, je n'ai pas compris: « pourquoi donc ce... muetetfroid mueteffroi »
  Elle, « faites vibrer le masque arrondissez le son n'écrasez pas il faut rechercher la couleur On recommence ! » Piano.

  Or du temps hors espace rond le temps de l'or qui coule long le vent qui feule dans les interstices de lumière ocelles blonds sur l'ocre des murs.

  La jeune coréenne papillon noir voix haut perchée de flûte monte monte étire les notes tout dans le plissé des pommettes.
  Elle, oiseau de mer étoffe s'envole mime l'élan ailes déployées vers la lumière « attention, je veux toutes les notes On recommence » barcarolle légèreté des flots « soulevez-moi tout ça, dans les gestes allons-y ». Piano.

  « O mio babbino ca-ro » corps présent les bras les mains guident la trajectoire des notes leur cheminement jusqu'à leur expulsion.

  Elle, barcarolle ample arrondi du geste « toujours maîtriser les muscles les canaux les contractions le passage de l'air plus de mouvement » Valse rythme le fleuve « c'est mieux bien mieux ». Caresse au passage les ailes douces frôle le papillon s'éclipse en souriant.
  Elle, libre, tout est possible peut tout envisager. Libre. Piano.

  Or du temps hors espace
rond le temps de l'or qui coule
long le vent qui feule interstices de lumière
ocelles blonds sur l'ocre des murs.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli



■ Voir aussi ▼

→ (sur Billevesées) Festival at Canari, 2010: Listening.



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