Méfiez-vous des enfants sages marque l’apparition d’une nouvelle romancière talentueuse de vingt ans : Cécile Coulon, à laquelle on souhaite la longévité de Sagan…
Cécile Coulon, née en 1990 et grandie sous les volcans d’Auvergne, déboule en souplesse, et le sourire lavé au Coca, dans la cour de la rentrée littéraire, avec son premier roman intitulé Méfiez-vous des enfants sages et publié par une éditrice, Viviane Hamy, au catalogue littéraire de bon renom .
- Quel a été votre parcours jusqu’à ce matin ?
- C’est très rapide : je suis née le même jour que Malcolm McDowell, mais pas la même année, ce qui m’a fait arriver un peu en retard au casting d’Orange Mécanique. J’ai fait mes études à l’ombre des volcans, entourée par les chats, les cassettes vidéos et les livres de mes parents. J’ai commencé à bafouiller du stylo vers douze ans, avec de très courtes nouvelles qui se sont peu à peu épaissies. En seconde, après la chouette lecture de L’éducation Sentimentale écrit par un certain Gustave, j’ai pondu un roman intitulé Le Voleur de Vie, publié un an plus tard par les Editions Revoir. L’année suivante, le même éditeur sortait Sauvages, un recueil de nouvelles. Puis j’ai découvert les cheeseburgers, les comics et John Steinbeck, et depuis, je me lave les dents au Coca-Cola. Entre-temps, j’ai fait deux ans de classe hypokhâgne et khâgne avant d’entrer en fac, au moment de la sortie de mon dernier roman, Méfiez-Vous des Enfants Sages.
- Comment en êtes-vous arrivée à l’écriture ?
- Très naturellement. J’aimais la lecture, la musique, le cinéma, je crois que tout s’est combiné. Ça s’est fait tout seul. C’est comme ça, ça vient instinctivement.
- Quelle place la lecture occupe-t-elle dans votre vie ?
- Une place beaucoup plus importante que l’écriture ! Je crois que c’est un réflexe de quand j’étais gosse : je ne peux pas m’endormir sans une histoire, un chapitre, un roman. Je lis tous les jours, et de tout. De Batman à Tennessee Williams en passant par Desproges…
- Pouvez-vous évoquer la genèse de ce texte ?
- J’ai écrit Méfiez-Vous des Enfants Sages il y a deux ans, pendant le mois d’août. Il n’y a pas eu d’idée de départ, de grande ligne directrice. C’est sorti d’un coup d’un seul, comme une langue de caméléon. Ça se passe toujours de cette façon: les idées viennent, c’est un mélange de films, de chansons, de textes, d’histoires, qui finissent par faire une bonne mayonnaise. Pour ce qui est du thème, je crois qu’à cette période, j’étais plongée dans la littérature américaine, le rock’n’roll et le chili con carne. J’aurais du mal à dire de quoi parle le texte ; et pourquoi je l’ai écrit, c’est quelque chose qui m’amuse, c’est un jeu, un tour de passe-passe entre ce que je vois, ce que je ressens, et ce que j’écris.
- Pourquoi le situer aux States ?
- Méfiez-vous des Enfants Sages n’est pas un roman américain, c’est un roman qui se déroule aux Etats-Unis, ce qui est très différent. J’ai choisi ce lieu car d’une part, c’est le lieu de tous les possibles, et d’autre part, parce qu’à ce moment là, j’étais réellement accro à la culture américaine littéraire, cinématographique, musicale et populaire, et je le suis toujours. Disons que le logo Coca-Cola m’inspire beaucoup plus qu’une conserve de petits pois Bonduelle.
- Qui est Lua à vos yeux ? Vous identifiez-vous à elle ?
- Lua est un personnage dont le parcours ne dépasse par la première et la dernière page du livre. Je ne m’identifie pas du tout à elle, même si c’est un peu bête de vouloir prendre de la distance par rapport à son propre livre, puisque toute création est forcément un peu autobiographique, quand on y pense. Dans cette optique, je m’identifie à tous mes personnages. Lua n’est qu’une nuance du tableau, et même si c’est elle qui raconte une partie de l’histoire, les autres ont une importance égale.
- Comment les personnages vous sont-ils apparus ?
Ils sont le résultat d’expériences musicales, cinématographiques et littéraires. Des mutants. Ils sont polymorphes, je me les suis figurés comme on cuisine un plat sans savoir la recette : on balance tout dans la gamelle, on touille, et on goûte.
- Comment avez-vous construit votre histoire ? De manière concertée ou à l’instinct ?
- À l’instinct. Rien d’autre.
- Comment travaillez-vous ?
- Course à pied, hamburgers et Coca : ça fonctionne un max ! J’écris la première mouture d’un roman en un mois et demi, puis le vrai travail d’ordre grammatical et syntaxique commence, avec ceux qui relisent derrière moi. J’utilise les conseils qu’on me donne comme une manière d’améliorer le texte, et cela m’oblige à reconsidérer mon propre fonctionnement, à me pencher sur mes faiblesses d’écriture.
- Qu’est-ce qui compte à vos yeux dans un roman ?
- Le détail. Que l’auteur capte le génie de l’infime. Et jouer avec ce décalage entre l’histoire globale et ce petit rien qui donne toute son épaisseur au texte, j’adore. C’est ce qui permet aux personnages d’exister.
- Lisez-vous les romanciers français actuels ?
- À fond. Chateaubriand est vraiment tip top. Plus sérieusement, le dernier livre français qui m’a plu est Cutter, d’Yves Ravey, publié chez Minuit. Il redonne au mot le sens qu’on lui arrache jour après jour.
- Quel a été le parcours de votre manuscrit jusque chez Viviane Hamy ? L’éditrice vous a-t-elle fait retravailler le texte ?
- C’est une amie qui a envoyé le manuscrit chez Viviane Hamy. Celle-ci m’a demandé de retoucher légèrement le texte, en particulier le personnage de Kerrie. C’est tout. Il n’y a pas eu de gros changements. J’ai étoffé certains passages et changé le titre : au début, le roman s’intitulait Bye-Bye Lua.
- Et Dieu là-dedans ? Et vos prochains projets ?
- Il paraît qu’Il a adoré le livre. Maintenant, j’aimerais bien élever des chèvres, acheter des motos et me couper les cheveux, mais je ne sais pas dans quel ordre le faire. Donc, en attendant, j’écris un nouveau roman...
On pense (notamment) aux nouvelles douces-acides de Raymond Carver en lisant Méfiez-vous des enfants sages, autant à cause de ses personnages non conventionnels, voire un peu paumés, que pour le climat de bohème romantique qui le baigne. C’est d’abord le pur bonheur d’être au monde, éprouvé par Kerrie depuis qu’elle a débarqué à San Francisco de son trou de province, à vingt ans et des poussières. Puis, dans la petite ville du sud où elle est revenue après la mort de sa mère, c’est la vie partagée avec Markku le Suédois, passionné d’entomologie et s’éloignant peu à peu, et avec leur fille Lua, très indépendante en dépit de la tendresse qu’elle porte aux siens, et développant une amitié farouche pour Eddy l’ex-junkie. À la mort solitaire de son «vieux pote», Lua connaîtra son premier grand chagrin, entre autres expériences formatrices.
Au fil d’une narration jouant sur des points de vue alternés, ce premier roman d’apprentissage filtre bien les désarrois et la révolte de l’ado révoltée, avec un regard lucide sur son époque et sa propre génération. Or, l’étonnante maturité de la romancière le dispute à une pétillante fraîcheur, qui fait passer quelques faiblesses et autres facilités juvéniles
Cécile Coulon, Méfiez-vous des enfants sages.
Editions Viviane Hamy, 107p.