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(3) Les bazars du Caire

Publié le 16 septembre 2010 par Luisagallerini

La ville nous engloutit dans ses artères bouillonnantes d'êtres et de sons, et nous ne discernâmes bientôt du soleil, totalement masqué par les hautes maisons, que les figures alambiquées dont il tapissait l'espace, disques s'assemblant en colliers, lignes tranchant la pierre et nuages de points tournoyant comme autant d'essaims d'abeilles. Nous contournâmes une cuisine publique où se pressait une foule hétéroclite, puis une école déserte. Les maisons, qui ne comptaient pour la plupart qu'un étage, étaient si dissemblables que les ruelles, où nous croisâmes une foule bigarrée de crieurs, d'enfants jouant et se bousculant, de marchands de dattes et de légumes hurlant et gesticulant, de femmes dansant ou allaitant et de mendiants couchés dans la saleté des caniveaux à sec, paraissaient en désordre.

(3) Les bazars du Caire

Les commerces se succédaient au rythme de notre marche parmi le peuple qui nous heurtait et nous emportait. Nous empruntâmes les étroits corridors abrités des bazars du Caire et longeâmes une multitude de cubes aussi étroits que bas garnis de mille articles. Devant nos yeux ébahis s'entassaient tapis et babouches brodées, cuivres et lanternes, bijoux et coffres forts pour les changeurs de monnaie, objets persans de toute sorte, poignards et autres accessoires. Tapis dans les coins sombres, les marchands, guettant l'acheteur, nous invitaient à prendre un café, à boire un thé ou à fumer le narghilé. À l'extrémité d'une allée, nous cédâmes le passage à trois ânes chargés de corbeilles débordant d'étoffes, d'épices, de caftans multicolores et de vestes cousues d'or.

(3) Les bazars du Caire

Éclairée par une minuscule lampe à huile, l'échoppe d'Ali, un très vieil homme que Louis connaissait bien, était l'une des plus anciennes du secteur sud des bazars du Caire. La lumière ambrée léchait les étalages et rebondissait sur le plafond débordant d'objets suspendus, pour s'égarer dans les tentures qui ornaient les murs effrités. Assis sur la terre retournée, Ali nous accueillit par un hochement de tête. Il officiait en ces lieux depuis près de soixante-dix ans, apprenti auprès de son père puis mentor auprès de ses propres enfants à qui il avait appris à marteler clefs et bijoux dès l'âge de cinq ans. Seul à présent, il vivait reclus sur son île aux trésors. Il ne nous offrit ni thé ni narghilé, parce que j'étais une femme. Une femme ne fumait pas et ne devait jamais être accompagnée d'un homme qui ne fût pas son frère, son père ou son mari. Peut-être aussi manquait-il de vigueur pour préparer la délicieuse décoction qu'il servait depuis des décennies à des visiteurs venus du monde entier pour admirer les merveilles qu'il dissimulait sur des étagères, au sol, ou dans des paniers accrochés aux poutres. Cependant, depuis deux trois ans, les clients se faisaient de plus en plus rares, alpagués par des commerçants plus vifs que lui, plus combatifs et plus jeunes.

Louis posa la main sur l'épaule d'Ali, pendant que Malik traduisait sa demande. Avait-il entendu parler d'une tombe découverte récemment et pillée par des fellahs, non loin du Caire ? Des objets en provenance de la sépulture avaient-ils transité par lui ou par sa famille ? Notre hôte resta muet un long moment, le tête penchée en avant comme s'il se fût recueilli. Je sentis la sueur former de fines gouttelettes sur mes tempes. À mes côtés, Henri, immobile, fondait comme neige au soleil sans qu'un frémissement de ses moustaches ne trahît son malaise.

Quelle sera la réponse d'Ali? A suivre dans le prochain épisode!

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