Aurélia avait peu à peu pris son rythme de médecin de jour et d’écri-vaine de nuit, Titus lui fournissait désormais la trame de ses romans. Elle n’avait plus à chercher à planter ses décors à Las Vegas ou à bord de l’Orient Express, à inventer des jeunes héroïnes au sang trop chaud qui se pâment à la vue d’un Aldo méprisant, à faire trembler de désir ses infirmières de la clinique de la forêt noire devant un docteur veuf et inconsolé…Basta l’imaginaire de pacotille des grandes surfaces !
Devant son verre de rosé pamplemousse, il lui suffisait d’écouter le soir, comme un enfant avant d’aller se coucher, les histoires du village englouti que lui racontait Titus. Ces mots faisaient resurgir la mémoire des lieux et des habitants. Aurélia goûtait presque de nouveau les pruneaux de Saint-Castillon, culture à tout jamais disparue sous les eaux. Elle revivait les guerres intestines entre les gens de la vallée et ceux des sommets. Elle touchait enfin ce sentiment d’exil et de perte qui pesait sur la communauté qu’elle soignait.
Emportée par le flot des paroles de Titus, elle descendait la route, interrompue, qui menait au fond du lac. Les récits s’entremêlaient comme des racines affamées autour de son imaginaire. Bientôt, Aurélia pourrait les ancrer dans le terreau des souffrances d’ici et, en bon médecin qu’elle était, les réparer. En écrivant, de ligne en ligne, elle renouerait le fil entre le passé et le présent.
Non, elle n’entreprendrait alors rien qui dépassât ses compétences mais seulement resterait-elle fidèle à son serment d’Hippocrate en tentant ainsi « de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. »