Je suis depuis trois semaines à Aix en Provence et ai pu ainsi visiter l’exposition Matisse à la Galerie d’Art du Conseil général (Cours Mirabeau, jusqu’au 3 octobre). Cette exposition concerne Jazz, le plus beau livre illustré par Matisse et édité par Tériade
TERIADE, (1897-1983) fut un des plus grands éditeurs d’art des années 1930 à 1960.
Tériade, de son vrai nom Stratis Eleftheriades, né en 1897 en Grèce, arrive à Paris en 1915 pour étudier le droit. Il commence alors à fréquenter la bohème parisienne et fait la connaissance du fondateur des Cahiers d’Art. Il devient en 1928 chroniqueur pour les Cahiers d’Art, L’Intransigeant et Minotaure qu’il marque de sa plume et son regard. Puis il devient éditeur d’art et révolutionne totalement ce métier avec la Revue Verve et les livres illustrés par les peintres.
VERVE, revue artistique et littéraire
Fondée en 1937 par Tériade, il y aura 26 numéros jusqu’en 1960.
Dès le départ Tériade, donne une grande liberté d’expression aux artistes dans le contenu et la conception de numéros spéciaux. Il travaille avec Chagall, Matisse, Picasso, Bonnard, Léger, Rouault, Braque …Il cherche à obtenir la plus belle réalisation éditoriale possible, pour cela il utilise les meilleurs procédés et travaille étroitement avec les meilleurs imprimeurs : Mourlot et Draeger.
Il utilise l’héliogravure, l’enluminure et surtout il remet au goût du jour la lithographie. Il initie les artistes à ce procédé et truffe ses numéros de compositions originales lithographiées.
TERIADE ET MATISSE
En 1939, Matisse rend fréquemment visite à Tériade dont l’optimisme le soulage de son angoisse (il a été opéré du cancer du colon et a du rester alité très longtemps). Arrivant vers sept à huit heures du matin, Matisse passe ses matinées à découper les feuilles d’albums des spécimens d’encre d’imprimerie que lui donne Tériade avec le secret espoir que cela débouchera sur un livre. Cependant, Matisse peu satisfait par les encres d’imprimerie ne poursuit pas l’expérience.
En 1941 Tériade a demandé à Matisse de réfléchir à un livre entièrement formé de planches de gouaches découpées. Cette idée a germé chez Tériade quand Matisse a réalisé la couverture de Verve (n°8) avec l’une des premières gouaches découpées : la Symphonie Chromatique, 26 couleurs différentes. Un véritable défi pour Tériade. Il fallait trouver une technique qui respecta les couleurs, ce fut la lithographie avec le célèbre lithographe Fernand Mourlot. 26 couleurs donc 26 passages sur la pierre à lithographie pour chaque feuille de vélin donc technique longue et chère
En 1943, Matisse substituant l’encre d’imprimerie à des feuilles de papier gouaché revient à cette technique et dès 1944 réalise l’ensemble des planches qui constituent Jazz.
La technique des papiers découpés et du collage apparait dans le travail d’Henri Matisse à partir de 1943, et va se prolonger tout au long de la dernière décennie de la vie de l’artiste. Les ciseaux vont désormais remplacer le pinceau dans ce renouvellement d’un langage plastique appliqué, comme pour l’ensemble de son œuvre, à la recherche d’un équilibre des couleurs et des formes.
Avec Tériade, Matisse édite ses plus beaux livres illustrés, (dont les poésies de Mallarmé, Jazz, les poèmes de Charles d’Orléans) et publie une sélection de presque vingt années de création dans les revues Minotaure (1936) puis Verve. La revue Verve consacrera 3 numéros illustrés des années 1940 à 1950.
JAZZ
La nature de ce travail ( Jazz, édition Tériade, 1947), qui rassemble des planches colorées et des pages d’écriture, est rétrospectivement définie par Matisse à la fin de l’ouvrage:
« Ces images aux timbres vifs et violents sont venues de cristallisations de souvenirs du cirque, de contes populaires ou de voyages. J’ai fait ces pages d’écriture pour apaiser les réactions simultanées de mes improvisations chromatiques et rythmées, pages formant comme un « fond sonore » qui les porte, les entoure et protège ainsi leurs particularités ».
Le Clown et Le Lagon, placés respectivement en page de garde et à la fin de l’ouvrage(Jazz comporte en tout vingt planches), relèvent en fait de deux étapes différentes.
Le Clown, une des premières illustrations réalisées, peut-être même avant que le projet ne soit véritablement fixé, est encore proche, par ses découpages saccadés, de travaux antérieurs comme les Deux Danseurs, dont on retrouve le motif du corps aérien, en suspension. Cette planche est sans doute à l’origine du thème primitif du livre qui s’intitulait Le Cirque. En effet, les nombreuses figures appartenant à cet univers, Monsieur Loyal (Planche III), Le Cauchemar de l’éléphant blanc (Planche IV) ou encore L’Avaleur de sabres (Planche XIII), devaient initialement en constituer la teneur.
Mais, au fur et à mesure de l’avancement de ses travaux, Matisse voit ressurgir les souvenirs de son voyage à Tahiti de 1930. Par exemple, il introduit des formes végétales exotiques dans ses scènes de cirque, comme dans Les Codomas (Planche XI) qui rend hommage à des trapézistes célèbres au début du siècle. Le mouvement de la découpe est de plus en plus continu, la lumière violente des feux de la rampe devient plus douce et diurne.
Les trois dernières planches, consacrées au thème du lagon, expliquent le changement de titre de l’ouvrage au profit de Jazz qui ne décrit plus son contenu thématique, mais évoque plutôt l’improvisation et la vitalité qui ont présidé à son élaboration.
De plus, le mot « Jazz » est graphiquement intéressant pour Matisse qui déclare en 1945 à Aragon: « Je sais maintenant ce que c’est qu’un J ». Car l’ouvrage contient aussi des textes qu’il rédige lui-même et recopie au pinceau, noir sur blanc, la calligraphie contrebalançant les planches colorées, constituant des sortes d’aphorismes « qu’on lira ou qu’on ne lira pas -, mais qu’on verra. Comme une espèce d’emballage à mes couleurs », selon le témoignage de l’artiste.
Références
http://members.fortunecity.com/matisse_world/matteriade.htm
http://www.artpointfrance.org/jazz/matisse.htm
http://www.passion-estampes.com/histoireart/matissejazz.html