Amauric

Ou, alors que je monte les marches, ma jupe plissée encombrant ma montée comme mes bras le sont des cadeaux pour Aumaric, je reste bouche bée alors qu'après avoir sonné, une femme que je ne connais pas ouvre la porte. Notre porte. À Aumaric et à moi.

« _ Qu’est-ce que vous faîtes chez moi ? ».

_ Chez Nous _ tout ça quoi...

Et je rentre comme une furie, la poussant sur le passage. Je jette valises, cadeaux, et des bouts de moi en bouts de bois sur le sofa. Ils font des échardes. Je les laisserai là. Et empalerai l’inconnue dessus.

« _ C’est Amauric qui m’a donné les clefs. »

Voix de sylphide. Deux octaves au-dessus de ma voix de camionneuse accroc au tabac brun.

Je vais la cramer.

Je n’en crois pas mes oreilles : que fout cette fille qui n’est pas moi chez moi ? Que fais-je ici, comme si je n’étais pas là chez nous ? Que fout Amauric dont j’attendais patiemment les bras, le corps, la tendresse, tout en montant les escaliers qui me séparaient encore un peu de lui ?

« _ Il m’a demandé de venir chercher ses affaires. Je devais les prendre ce matin, mais quand j’ai appris que vous deviez rentrer maintenant, j’ai préféré venir afin de vous voir.

_ C’est quoi ces conneries ? »

Ma voix semble irréelle, comme si elle n’était alors plus à moi. Ma voix est une inconnue, encore plus inconnue que l’inconnue que j’ai devant moi.

Une inconnue qui a des seins magnifiques.

Des seins qui semblent tenir tout seuls.

Moi il m'a fallut dix ans pour trouver des soutifs qui me fassent des seins à peu près potables et encore.

Je vais la détruire sévère.

Je lui ai posé cette question alors que je sais très bien quelle sera sa réponse : dans la vie, on ose souvent faire la naïve afin de se rassurer un peu. Là, dans cette histoire, c'est moi la naïve. Elle va bien sûr me dire qu’elle baise avec Amauric depuis des semaines, des mois même. Qu'Amauric et moi, c’est fini, qu’il faut que je m’y fasse, qu’il ne reviendra pas et que c'est comme ça. Qu’être avec moi était la pire chose qui pouvait lui arriver, que je suis une folle, que je fais du bruit en mangeant, que je suis nulle au pieu, que je ne vaux rien et que je pète au lit. Que je suis fade alors qu’elle explose, que je ne l’ai jamais compris alors qu’elle lit en lui comme dans un livre ouvert. Que notre relation était une tombe, que j’étais bien sotte de ne pas m’en être aperçue, que c’était pour ça qu’il ne me touchait plus depuis quelques temps, qu’il feignait la fatigue quitte à s’en fatiguer lui-même. Que notre relation n’était qu’une mascarade, qu’elle ne valait en rien celle qu’ils sont en train de vivre. Que je suis moche d’après ses dires, grosse et bête et sotte et conne, monstrueusement conne, la plus conne dans toute l'histoire des connes que s'il y avait une élection de la reine des connes, j'aurais sans doute une couronne. Qu’OK, il ne me restera que mes yeux pour pleurer, mais que je n’ai pas à m’en faire : il ne m'embêtera plus. Qu’en un mot comme en cent : Amauric et moi c’est fini, et que je dois me prendre ça en pleine gueule parce que je suis trop débile pour ne rien avoir vu venir avec mes cadeaux à la con.

« _ Stéphane vous quitte. Je suis désolée. Mais je voulais vous le dire parce que je trouve que ce n’est pas très juste qu’il ne vienne pas vous en parler directement. Pas correct. Je trouve ça lâche. Et ça me gêne ».

Et en plus elle est intelligente.

Salope.

Je la jette sur le sofa.

Elle s'empale sur les échardes que les bouts de moi y ont laissées tantôt.