On fumait tous à plein poumon à la sortie de l’église, crânement, par fanfaronnade et pur instinct de survie. Qu’elle vienne un peu nous chercher si elle l’ose, la vieille Schnock, celle qui nous réunissait aujourd’hui pour l’enterrement de Yves.
On était des gamins qui au lieu de chier d’horreur dans leur froc préféraient encore braver la mort. Ou peut-être avions-nous simplement besoin d’augmenter nos doses des dopamine et de tromper, un instant, nos neurotransmetteurs. Nous jouions de nouveau aux indiens qui fumaient, non pas par plaisir mais pour communiquer, enfin, avec les dieux.
Nous nous vengions ainsi d’une cérémonie volée et du discours macabre et froid d’un prêtre qui ne semblait n’avoir connu ni Yves ni aucun méandre de l’amour humain. Les gamins s’agitaient et braillaient dans le labyrinthe de la nef. Nous les envions, droits et endossés dans nos costumes et nos chagrins, incapables d’exulter la sève bouillonnante qui agitaient nos veines.
Le curé n’avait glosé que sur la mort sainte du Christ de peur d’approcher celle incompréhensible d’Yves. Un père de famille, bien portant, qui part brusquement d’une crise cardiaque dans la nuit, sans raison aucune, à 33 ans, ça ne se justifie pas, hein ?
Ca ne devait guère lui plaire au curé, l’inconnu et le scandale autour de ce cadavre, et il se cramponnait à ses dogmes théologiques, s’emberlificotant dans des vertiges intellectuels justifiant la douleur plutôt que de nous apporter compassion et paix. « Jésus n’est pas venu expliquer la souffrance mais la remplir de Sa présence. » Mon œil, parle à mon cul, ma tête est malade…
Ou peut-être confondais-je le messager de la mauvaise nouvelle avec la mauvaise nouvelle ?