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Les loups - page 2.

Publié le 18 juillet 2010 par Raider43

 

   Il savait aussi pêcher les truites à la main.  Il allait les chercher dans le Sègre, notre grande rivière.  Il se mettait tout nu, entrait dans l'eau et capturait les poissons mussés sous les pierres brunes.  Quand il rentrait de la chasse avec son gibier encore chaud ou de la pêche avec ses truites toutes fraîches, c'était la fête à la maison.  Il avait su arracher à la nature de quoi améliorer notre ordinaire.  La Nature.  Elle nous entourait de ses montagnes et de ses forêts.  Nous vivions d'elle, des fruits durement acquis de sa partielle domestication.  Sur ces hautes terres de Cerdagne, elle filait la trame de nos jours.  Tantôt généreuse, quand les récoltes étaient bonnes, quand les pâturages étaient gras, quand le veau était bien venu;  tantôt marâtre, quand les saisons étaient contraires, quand de l'hiver la dure étreinte glacée réduisait notre vie à une petite flamme entretenue par les provisions et par la chaleur qui émanait des bêtes serrées dans l'étable attenante à notre habitation.

   C'était justement une nuit d'hiver.  Mais un hiver si froid que le Sègre avait complètement gelé et que sur les proches pentes de la montagne on entendait les pierres éclater.  Dans notre pauvre maison, maman était en train de nous servir la soupe de pois cassés aux croûtons.  Soudain, la louche de bois qu'elle tenait, tressaillit et resta suspendue au-dessus de mon écuelle fumante.  Un cri, une longue plainte triste montait dehors, dans la nuit noire.  N'ayez pas peur, enfants, ne cherchez pas à apercevoir par la fenêtre les sauvages envoyés de la montagne.  Venez plus près, là... .  Attendez un peu, que je retire le faitout de l'âtre, ma soupe à l'ail doit être plus que chaude... .  Voilà.  Écoutez.  N'ayez pas peur.  Des loups, il n'y en a plus, aujourd'hui, et même dans mon vieux pays des montagnes, là-haut, il faudrait marcher bien loin dans les forêts pour trouver peut-être le dernier.  Mais quand bonne-maman était petite, il y en avait encore beaucoup et, les rudes hivers qu'ils ne trouvaient plus à manger dans les bois, ils descendaient jusqu'au bord des villages, dans l'espoir de se mettre quelque chose sous la dent:  poule, mouton ou chien.


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