Les loups ( une histoire vraie. Cerdagne, vers 1880 ) - page 1.

Publié le 18 juillet 2010 par Raider43

  - "  Bonne - Maman, raconte-nous les loups. "

  

  - "  Le jour où ils sont venus, je n' avais pas dix ans et il y a de cela bien longtemps.  Je suis vieille à présent et je crains de ne pouvoir raconter cette histoire bien souvent encore.  C'est pourquoi, mes petits enfants, je vous demande de bien écouter.   Comme ça, plus tard, quand vous serez devenus vous-mêmes parents et grands-parents, vous pourrez la dire à votre tour  à vos enfants et petits-enfants et le souvenir de ce que j"ai vu alors ne sera pas perdu .

   D'abord, si je suis capable aujourd'hui de vous faire ce récit, avec tous les détails qu'il faut et en français, c'est parce que, depuis le temps lointain de mon enfance, j'ai appris cette langue.  Ma langue maternelle à moi, c'est le catalan. D'ailleurs, quand je suis arrivée en France, je ne savais pas vraiment lire. Les seules leçons que j'aie eues, je les ai prises auprès de mon frère, qui allait à l'école, lui, alors que moi qui n'étais qu'une fille, je n'y avais pas droit. 

   En ce temps-là, seuls quelques garçons d'Urtg, petit village aux portes de Puigcerda, en Cerdagne espagnole, fréquentaient l'école religieuse.  Il fallait la payer, l'école, et les parents, tous plus ou moins pauvres, faisaient un sacrifice en y envoyant leurs fils recevoir l'enseignement de Monsieur le Recteur.  Quant aux filles, on estimait qu'elles n'avaient pas besoin d'être instruites pour tenir une maison, s'occuper des champs et des animaux et, plus tard, élever des enfants.  Donc, quand mon frère étudiait ses leçons ou faisait ses devoirs, le soir, à la lueur de la lampe à pétrole, je me glissais à côté de lui et, comme une pauvresse qui ramasse ce qui tombe de la table d'un riche, je recueillais, avec sa complicité, quelques miettes de son savoir.  Mais jamais je ne pouvais rester à cette étude qui me plaisait, car les besognes quotidiennes qui étaient mon lot n'attendaient pas.  Et je laissais mon frère, ses livres et ses cahiers pour aller garder les deux vaches, qui constituaient l'essentiel de notre bien, ou pour travailler au potager avec nos parents.  Nous étions une famille de petits paysans.  Nous vivions chichement du produit de notre lopin de terre, du lait de nos vaches, des oeufs de nos poules.  Nous ne mangions pas de la viande tous les jours.  Notre père et notre mère louaient leurs bras chez les gros propriétaires pour le fauchage des prés et  pour les moissons.  Le père chassait la perdrix et le lièvre sur la lande et dans la forêt.  Il possédait une escopette qui faisait un bruit épouvantable.