Lettre sans correspondance 1

Publié le 22 septembre 2010 par Xavierlaine081

 

Areski et Brigitte Fontaine [1] avaient bercé ma jeunesse étudiante. Il seront là, ce soir, tout proches. Mais à cette heure, je finirai à peine ma journée de labeur.

Et elle aura commencé bien avant la sympathique invitation que vous m'avez envoyée, pour venir, avec petits fours et édiles, inaugurer cette belle douzième édition des correspondances.

Car voyez-vous, je ne le dirai jamais assez, il se trouve une ville, par-delà les murs, qui palpite, râle dans des bouchons, tente de survivre dans une période sans relâche où nous sommes conviés à travailler toujours plus…

Pour ceux que nous sommes, il n'est point de réjouissance, à moins d'avoir un patron compréhensif, ou d'être son propre employeur (mais dans ce cas, la facture bancaire sera salée à la sortie).

Point de réjouissances donc, puisque tout se passe, derrière les murs d'enceinte, à des heures qui ne rendent accessibles spectacles, lectures et entretiens qu'à ceux qui auraient le loisir de s'y promener. Ça crée déjà une belle sélection du public.

J'évoquais, hier le “parisianisme”. Certains pourraient entendre  derrière ce mot un certain mépris qu'il me faut atténuer. Je ne suis pas de ceux qui feraient la fine bouche lorsqu'on leur offre sur un plateau des ortolans. Non, ce n'est pas mon propos. Je suis de ceux qui vont se trouver, au contraire, frustrés dans leur curiosité de ne pouvoir assister au programme, faute de ne pouvoir interrompre la vie qu'il nous faut bien mener, voire faute d'avoir le porte-feuille qui leur permettrait de se payer le sésame.

Alors, pour la douzième année consécutive, on va déambuler, vaguement écouter, se laisser prendre à un jeu qui n'est pas vraiment le nôtre. Nous verrons défiler une foule venue d'on ne sait où, programme en main, qui suivra avec attention les pas de ces artistes et écrivains, reconnus comme tels car ayant leur nom au sommet d'une affiche, sans un regard pour une ville qui devra encore et toujours, et sans variation aucune dans ses habitudes, plier sous la rigueur d'un temps qui oblige au turbin plus qu'au loisir.

Ainsi Brigitte Fontaine et son complice auront une fois de plus croisé ma route sans que je puisse m'arrêter, et Kim Thúy[2], rescapée des boat people subira le flot roulant des questions sans que je puisse entendre la moindre de ses réponses. Peut-être aurait-elle réussi à me convaincre d'acheter son livre, pourtant.

Car, malgré mes allures, je n'achète pas tout, voyez-vous. Ma fortune ne me permet pas de telles incartades. Non, je me contente d'y aller au feeling. je prends, je furète, je feuillette, je lis deux lignes, je repose l'ouvrage, j'y reviens, avant que le déclic ne se fasse. Ainsi je suis rarement déçu dans mes lectures.

Un seul m'aura facilité la tâche. Il était venu l'an dernier et j'avais acheté son livre, sans trouver le temps de le lire vraiment. Alors, comme il sera là pour quelques temps, je m'y suis plongé. D'autres aussi sont venus me rejoindre dans mon antre, devant le marronnier. Je vous en parlerai demain ou après-demain, selon mon humeur. Il me faut garder un peu de suspens.

Pour le moment, mon fils se réjouit à l'idée de rentrer en quelque écritoire, avec son papa qui se demande où trouver le temps de tout faire, et, hier, à l'école, il a écrit une magnifique lettre à sa jolie doctoresse, qu'il s'imagine déjà entendre lire en public, samedi ou dimanche, certain de gagner le concours, comme de bien entendu.

“Et, en plus, elle sent bon”, qu'il a cru bon d'ajouter. Ah! L'amour!

Pas d'impatience, le combat se poursuit demain.

Xavier Lainé

Manosque, 22 septembre 2010

[1] Brigitte Fontaine: Le Bon peuple du sang, Flammarion, 2010 et, en disque, Prohibition, Polydor, 2009.

[2] Kim Thúy, Ru, Liana Levi, 2010