Sur le film de Peter Watkins
Bergman parle d’un « travail de génie » à propos du film que Peter Watkins à consacré à Edvard Munch, et c’est vrai qu’il est peu d’approches de peintres aussi sensibles, au cinéma, aussi riches d’observations sur tout ce qui a fait d’un grand artiste ce qu’il est, en parlant si peu d’art et de métier, plutôt en nous immergeant dans un univers familial et social dont les tensions fondamentales vont se retrouver dans les hantises, les thèmes et les motifs, les couleurs du peintre. C’est le jeune homme au visage solide et doux, le garçon silencieux, fragile et fort à la fois, qu’on rencontre ici dans sa famille tôt endeuillée par la mort de la mère tuberculeuse, dominée par un père médecin moralisant auquel Edvard ne tarde à s’opposer, attiré par la bohême anarchisante de la ville, sur fond de pauvreté forçant encore bien des enfants à travailler plus de dix heures par jour. Bientôt aussi, le grand-père va sombrer dans la folie, que le jeune homme a commencé de dessiner, comme il le fait de ceux qui l’entourent, ou des paysages et plus précisément de sa jeune sœur dont il va travailler longtemps la figure aboutissant à cette merveille qu’est L’enfant malade, datant de 1885-1886.
C’est un film qui nuance admirablement l’aura de chaque personne, à partir d’un récit qui doit beaucoup aux carnets d’Edvard, lequel y parlait de lui-même comme d’un personnage de roman, sous trois noms différents. On y voit le cercle un peu étouffant de la famille, dole milieu corseté de la bourgeoisie qui donne le ton à Christiania (l’Oslo de l’époque) et, en vif contraste, les cercles de jeunes gens parlant problèmes sociaux et nouvelles formes de vie ou d’art, ajoutant 9 commandements subversifs aux dix de la Loi biblique. Le jeune Edvard passe des uns aux autres en timide aux airs réservés et vaguement aristocratiques, dont les premiers autoportraits disent la force intérieure et la sensibilité à fleur de peau.
L’injustice sociale, la condition des femmes et des ouvriers, la maladie, l’hypocrisie des philistins, tous les motifs qui nourriront son œuvre gravé sont évoqués dans ce tableau mouvant, et peu à peu se dégagent aussi les thèmes, les obsessions, les hantises, les dominantes émotionnelles et picturales de la peinture.
On est là dans une sorte de grand rêve éveillé aux éclairages clairs-obscurs, qui fait mieux comprendre d’où vient cette œuvre immense dont ne sont connus, le plus souvent, que quelques tableaux devenus des « icônes », comme on dit, Le cri, La Madone, Mélancolie, alors que Munch est tellement plus vaste et varié, profond et multiple.
Peter Watkins. Edvard Munch. DVD, 3h.14.