Avez-vous déjà eu ce genre de projets, de ceux qui vous tiennent à coeur et que vous savez qui vont bouleverser votre vie...? Ce genre de fol espoir que l'on met dans une incertitude, une volonté, une tentative pour tout changer, se dire que si on ne le tente pas on ne le fera jamais? Qu'il sera demain trop tard? Ce genre de projet où vous finissez par placer tout ce qui vous reste d'espoir et d'envies?
Un jour vous vous lancez. Après tant d'années à ne pas même songer qu'une telle chose sera jamais possible, vous finissez par vous dire... pourquoi pas? Et vous tentez... Vous vous asseyez devant votre ordinateur, vous remplissez les papiers, vous vous lancez dans des démarches plus compliquées les unes que les autres, maudissez l'administration, vous arrachez les cheveux, recherchez des papiers comme des bulletins de note vieux de 12 ans et que vous croyiez ne plus posséder... Mais vous vous êtes lancé et vous finissez par boucler votre dossier. Les dés sont jetés.
Et puis vient l'attente... L'attente si pénible, si terrible, où les jours s'égrènent lentement, si lentement, où chaque difficulté vous rappelle combien vous voulez plus que tout que ce projet aboutisse, où tout ce qui vous entoure vous hurle combien vous devez réussir...
Les jours passent, les semaines... les mois... Rien. Et chaque jour on arrive le cœur battant à la boîte aux lettres, chaque jours on regarde l'avancée du dossier sur internet. Rien. La boites à lettres est vide et le dossier internet n'a pas changé depuis le début. La déception. Chaque jour. L'immense vide qui vous pousse à croire que c'était peut être vain. Les doutes. Et pourquoi cela marcherait-il? Pourquoi le pourrais-je? Je n'en suis pas capable...
Et puis les amis. Les amis qui vous soutiennent, qui n'ont pas idée d'à quel point chaque petit mot d'encouragement peut devenir une force puissante, une motivation à continuer, à vouloir, à espérer, à avancer. Même lorsqu'ils sont dits dans un tout autre contexte. Mais vous les gardez en vous et vous les ré entendez dans votre tête chaque fois que vous en avez besoin.
Cyann, si tu le décidais, les arbres ploieraient devant toi.
Je t'ai connue enfant, je te quitte femme. Tu es courageuse, tu es une femme forte.
Je n'ai jamais douté de toi.
Je suis fier(e) de toi.
Cela se peut-il.... Quand vous mêmes n'êtes pas sûr de ce que vous êtes, de ce que vous faites. Quand des années durant tout reposait sur vous mais que vous n'avez jamais réellement rien construit de vos mains. Que vous doutez de vos capacités, que vous n'avez pas confiance en vous...
Cela se peut-il...
Et puis un jour, les premières nouvelles... La visite médicale, le stress, la peur de voir des résultats incongrus se disséminer dans votre dossier sans même imaginer que ça aurait été possible. Vous travaillez dans un laboratoire, vous savez combien les risques de contamination sont forts... HIV... Et soulagement... Négatif.
Retour à la lutte contre le temps. Pour les analyses, pour le dossier. Remettre tout à temps, faire vite, chaque jour est important. Et puis l'attente... de nouveau. Encore, encore, encore. La boîte à lettres, internet. Vivre en attendant, en luttant contre ces espoirs pour qu'ils ne vous dévorent pas tout entier, au cas où la décision serait négative. Au cas où tout votre monde s'écroulerait si l'on n'accédait pas à votre envie.
Et puis là il y a quelques semaines... Le seul jour où je n'ai pas vérifié le dossier internet... Nouvelles... "Envoyez-nous votre passeport"... Oui! Oui! Et puis des mots qui attirent votre attention "Décision non définitive" "peut toujours être révoquée"...
Mais Cyann, s'ils sont allées jusque là...
Oui ils sont allés jusque là. Et moi j'ai couru contre le temps, je me suis démenée. Et j'ai espéré. J'ai espéré à fond. j'ai trépigné, sauté, pleuré, angoissé et aujourd'hui....
Enfin. Je l'ai.
Le Gouvernement Canadien m'a délivré mon visa de Résidente permanente en tant que travailleur sélectionné par le Québec... Je pars vivre au Canada!!!!
Oui je sais.... La plupart d'entre vous se diront surement que je fais un bien gros chou d'un tout petit pois... Mais ceux qui me connaissent et qui ont une idée de ce que tout ceci peut représenter pour moi sauront pourquoi.... Un autre pays, une autre culture, un autre système, d'autres valeurs... Rien, rien ne fonctionne comme ici. Oh, je ne serai pas perdue... Ou si, peut être un peu. Beaucoup même... Mais il me suffira d'apprendre... Tant de gens l'ont fait avant moi, c'est ce que je me dis si souvent. Je ne dois pas m'attendre à arriver et à ce que tout soit facile, que tout me tombe du ciel. Je quitte mon emploi sans en avoir un autre. Je vais devoir chercher du travail, dans un pays où tout est différent.
Mais pourquoi n'y arriverais-je pas? Pourquoi n'en serais-je pas capable?
Ha, ha, tu vas voir, tu vas regretter
Tu vas vite revenir en guadeloupe
Le Canada, c'est pas comme ici, les gens ne s'aiment pas, tu peux crever dans la rue, personne ne s'arrêtera
Il fait froid, tu vas faire comment?
Et j'en passe... De ces phrases, que les gens n'ont pas cessé de me sortir. Ces a-priori négatifs que rien ne se passera bien, que je quitte un pays paradisiaque pour foncer tête baissée vers le néant.
Et s'il me plaît à moi de partir vivre ailleurs? S'il me plait d'aller dans un pays où - enfin!!!- les gens cesseront de me juger sur ma couleur, où ils cesseront de m'exclure et de me traiter en étrangère? De me juger sur l'accent avec lequel je parle? "T'es de france, toi, ça s'entend" "Non ça fait 14 ans que je vis en guadeloupe". Où mes envies de culture, d'ouverture d'esprit, de connaissance du monde et de choses nouvelles ne me feront plus être mise de côté sans cesse par les gens qui m'entourent, sans même qu'ils ne s'en rendent compte... Où ma différence deviendra une richesse plutôt qu'un handicap.
Et la pire de toutes. Celles que j'ai incessamment entendue, implicitement ou non.
Et ta mère, tu l'abandonnes?
Non! NON!!!!!! Pourquoi, pourquoi ne cesse-t-on de me culpabiliser! Est-ce qu'ils ne croient pas que cela m'arrache le coeur de laisser ma famille, à moi aussi? Ce n'est pas parce que je ne le dis pas ouvertement, que je ne l'exprime pas de la même façon que je ne suis pas triste! Ma soeur est partie faire ses études, lui a-t-on reproché d'avoir abandonné les siens? Elle est revenue, s'est mariée: le lui a-t-on dit? Alors pourquoi MOI ce serait un abandon, parce que je voudrais vivre aussi? Ma maman qui a tant fait! Elle le sait que je dois faire ma vie, et ce n'est pas ici que j'ai choisi de la faire...
Qu'est-ce que ce sera là-bas?
Je n'en sais rien. Je n'en sais absolument rien. Je ne sais pas ce qui m'attend... Des difficultés... C'est certain. Des défis, des joies, des peines, que sais-je... Ce pays ne me conviendra peut être pas... A vrai dire j'ai la trouille... Oui j'ai la trouille.
Mais j'aurai essayé.
J'aurai essayé de toutes mes forces de construire quelque chose de mes propres mains, quelque chose de bien plus grand et de bien plus important que tout ce que j'aurai déjà fait jusqu'ici. Je vais redémarrer à zéro en partant toute seule à l'aventure. Et puis je connais déjà des gens là bas. J'ai préparé le terrain. Je sais où je vais habiter, je ne serai pas totalement seule.
Alors pourquoi pas?
Ce soir je ne saurais dire dans quel état je suis. Je ris je pleure toute seule. Pas trop pour ne pas qu'on m'entende. J'aimerais pouvoir sauter dans tous les sens, pouvoir cirer au monde combien je suis contente... Mais je ne peux pas, alors je me contente juste de le partager avec vous...
Il me reste encore tant à faire... Je ne sais même pas par quoi commencer. Heureusement que j'ai eu tous ces mois pour voir venir les choses et commencer à me préparer. Dites-vous bien que tout ceci sera propice a des tas de bons strips...! Imaginez-moi lorsque j'arriverai là bas, rien que ça. Pour vous donner une idée, il faisait 9 degrés à Québec... Contre 32 ici!!
Alors comme dirait mon amie Cherrydean (que je remercie mille et mille fois pour toute l'aide qu'elle m'a apportée durant tous ces mois...), "ça ferait un bon strip l'entraînement au froid"...
Alors je vous mets en images sa suggestion:
Ciao tout le monde!! Merci d'être là!