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Chroniques d’une ménagère assise (3)

Publié le 23 septembre 2010 par Sophielucide

Une bête entre mes murs

Depuis combien de temps la bête est-elle tapie entre les murs, je n’en sais rien mais elle continue de creuser inlassablement et je suis son parcours en l’entendant gratter toute la journée. Je la crains en vertu de je ne sais quelle raison, parce qu’on se ressemble sans doute. Elle est seule entre ses murs, comme moi. Elle suit avec une méthode qui la dépasse un parcours instable en se convaincant peut-être  qu’au bout du long chemin qui l’étouffe, une porte s’entrouvrira, une porte donnant sur une lumière douce qui inondera de beauté tout ce qu’elle avait imaginé. Elle gratte toute la journée, mais en s’accordant de longues pauses. Ce travail doit l’épuiser. Entre deux, que fait-elle ? Elle est là, tapie à quelques centimètres de moi et se berce peut-être de ma propre frénésie à taper sur le clavier. Sans doute doit-elle se poser les mêmes questions qui m’assaillent : que fait-elle à gratter toute la journée derrière ce mur qui nous sépare ?

Parfois, j’avoue, elle m’agace cette petite bête et je donne alors de grands coups dans les murs pour l’effrayer, ce qui réussit car elle s’arrête aussitôt. Je l’imagine le cœur fragile et seules ses griffes démesurées, vu le vacarme qu’elle produit, lui confèrent le statut de monstre qui occupe désormais toutes mes pensées.  Lorsque le bruit reprend de plus belle, cela me rassure tout de même : elle n’a pas succombé à une crise cardiaque. A choisir, je la préfère vivante. Imaginer son corps se putréfier derrière le mur me révulse.

Est-ce une taupe ? Un rat ? Depuis que je me suis aperçue de sa présence, elle a avancé de trois mètres, soit une avancée de 30 centimètres par jour, ce qui m’épate quelque part. Si je pouvais en faire autant….

Elle avance en montant. Au dessus de la pièce que nous partageons, se trouve la chambre où je dors. J’ai fini, je crois, par m’habituer à ce bruit la journée mais qu’adviendra-t-il de mes nuits si elle continue son avancée ascensionnelle ? Le vieux chat qui me tient compagnie ne semble pas en faire cas et cela m’a déçue de sa part. Je crains qu’il ait perdu toute notion de son état animal. Certes, il n’a jamais été un grand chasseur et je me demande à présent si les rares oiseaux trouvés sur mon paillasson ne proviennent pas d’autres chats du quartier voulant m’apprivoiser. Rien ne l’intéresse à part ses sacro-saintes croquettes et les pages des livres que je tourne et qu’il renifle avec délectation.  Je ne peux donc pas compter sur lui  et cette présence mystérieuse me paraît insoluble. Casser les murs s’avérera improductif et je ne suis même pas chez moi. Toutes les deux locataires de ces murs délabrés nous sommes condamnées à cohabiter. Verra bien qui grattera la dernière et ce que donnera l’instable échafaudage que, consciencieusement nous nous entêtons à bâtir. La seule supériorité que je m’accorde à ce sujet est d’admettre le caractère vain de cette entreprise laborieuse. Mais là encore, il se peut que je me nourrisse de chimère et si, de son côté elle se nourrit des murs qu’elle attaque de l’intérieur, il y a fort à parier que je finirai la première sous les décombres de la sale petite bête qui me ronge de l’intérieur.

Sinistre rentrée…


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