La iule est un myriapode vivant sous les pierres et qui s’enroule en spirale en cas de danger. Attention, cet animal n’a rien à voir avec l’autruche, qui n’a que deux pattes et est beaucoup plus grosse.
La iule jouit en paix de la pénombre et de l’humidité, méditant à petit pas sur la profondeur de l’humus qui l’accueille.
Vous, promeneur des forêts, arrivez, balourd, comme toujours vous comportant, impérialiste, en pensant que les lieux sont à vous, que les choses sont à prendre. Vous avisez une pierre plate, d’un
gris tendre, et qu’un lichen phosphorescent a réussi à tapisser sur sa face Nord. Lourde et imposante, néanmoins familière et parée d’un semblant de confort bourgeois grâce à ce lichen opportun,
elle serait parfaite pour s’y asseoir et faire une pause.
Le problème est que comme toute chose, la pierre s’obstine à ne pas vouloir vous servir spontanément, et qu’elle est pour l’instant (pensait-elle : pour toujours) posée selon une inclinaison
trop marquée qui rendrait inconfortable toute station assise. Vous auriez les genoux dans la poitrine et le cul de guingois, versant par le Nord, car c’est précisément le penchant de la pierre de
ce côté-ci qui a rendu le lichen possible. Il vous faut donc absolument rétablir l’ordre des choses, rendre cette pierre serviable, c’est-à-dire horizontale. Elle se croyait menhir, la voici
tabouret. Mais elle obtempère, n’opposant à vos désirs que la certitude de son poids, qui ne l’empêchera pas d’être déplacée, mais vous vaudra un tour de rein. C’est le prix qu’on paye
généralement à vouloir plier le monde.
Ce prix là, plus d'insignifiants dommages collatéraux. Car sous la pierre, la iule roupillait. De tout son long. Les pattes en éventail. Déployée ainsi, on aurait dit un très grand mot
composé presque exclusivement de m et de n : la iule, par sa forme même, révélée comme l’incarnation de ce qui désigne un geste doux et habile, mais paresseux : maniementminimum.
Et voilà que vous la mettez à découvert.
Que peut-elle faire ? Fuir ? Ses trop nombreuses pattes sont une entrave à la vitesse. Faire face ? Mais que peut vous infliger le minus, à vous, le monument ?
Affolée, la iule s’enroule. Se faisant elle devient, l’espace d’un instant, l’avatar subreptice du point d’interrogation, reflétant votre inquiétude devant l’abscons et vil animalcule à peine
entrevu. Et zuit, l’instant d’après, en un tour de iule la voici devenue rond, la voici devenue point
A jamais indéchiffrable, elle se renfrogne.
Et que peut-on opposer à un point final, sinon les dégâts que cause tout découragement ? Comme le lecteur qui, épuisé par le poids des mots, referme d’un coup son dictionnaire, vous faites
retomber la pierre sur la iule, qui n’en peut mais.