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Lettre sans correspondance 4

Publié le 25 septembre 2010 par Xavierlaine081

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Drôle de journée que celle-ci qui vit s'accumuler les lourds nuages sur la ville. Pesantes menaces d'une journée indécise. Ce pays n'est jamais si beau que dans la colère de ses cieux. Elle souligne ses collines, efface momentanément toute référence aux montagnes, lui donne l'allure d'une île suspendue on ne sait à quoi.

Ce pays est beau. S'il n'en était pas ainsi y serais-je resté plus de trente années. ceci pour faire taire les mauvaises langues qui me trouveraient grincheux, grinçant…

J'entends les bien pensants dans leurs vieux murs: le voilà encore, cet empêcheur de festivaler en rond, ce coupeur d'élan, ce cheveux dans la soupe, ce caillou dans la chaussure.

Certains même peut-être viendront me dire comme à Camus son ami allemand: “Vous n'aimez pas votre pays!”. Emboîtant le pas à de présidentiels propos, ils m'inviteraient même à partir, puisque l'air ici sent parfois le rance et que cette odeur ne me convient pas.

Pas d'affolement, les pressions se sont faites si fortes que parfois elles auraient bien pu m'ébranler dans ma certitude qu'ici était mon lieu, dans la longue contemplation des cimes et de leurs variations saisonnières, où dérouler le tapis rouge d'une littérature posthume.

Les paysages sont une chose, les gens posent d'autres questions : entre l'immobilité des montagnes et l'infinie variété des déclinaisons de ses paysages, ce pays, parfois, fait des choix. Il se contente d'ouvrir de temps en temps quelque soupape, histoire de se donner l'illusion d'être en mouvement.

Sur deux voies parallèles, deux trains attendent. L'un va demeurer à quai, l'autre va bientôt partir. Vous pouvez choisir entre les deux. Et le pire, c'est que le choix de monter dans le train immobile, au démarrage de l'autre, va vous donner la sensation que c'est le vôtre qui est sur le départ.

Nous en sommes là.

Mon grincement, s'il semble déranger, circule. A ceux qui m'accuseraient de cette forfaiture de ne point aimer ce pays puisque je le critique, je ferai l'excellente réponse de Camus: “Non, je ne l'aimais pas, si ce n'est pas aimer que de dénoncer ce qui n'est pas juste dans ce que nous aimons, si c'est ne pas aimer que d'exiger que l'être aimé s'égale à la plus belle image que nous avons de lui.”

Alors, hier? Hier? Rien…

J'accompagnais mon fils à l'école. J'allais prendre mon café : les lieux où le prendre et qui soient un chaleureux ne sont pas légion sur mon passage, je vais donc toujours derrière la même table, chaque jour. J'y prend connaissance de ce “journal” qui se vante d'être le seul organe d'information (il en est au moins deux autres, mais l'idée de pluralisme doit effrayer mon cafetier).  J'y vois (pour ce qui est de la journée d'hier) une longue litanie discursive sur le nombre des manifestants de la veille : bien évidemment, les gouvernants cherchent à tirer vers le bas, histoire de se persuader de leur juste raison à imposer leurs lois scélérates; les autres tirent vers le haut, pour enfoncer le clou de la révolte et faire bouger les timorés; mes yeux, qui étaient là pour voir, peuvent dire qu'il y avait du monde, et que l'exaspération est à son comble. Mais, parfois, l'exaspération des uns justifie l'entêtement des autres : comme les enfants, il en est qui, à cinquante ans révolus, n'en ont pas fini avec les caprices.

Je jette donc une pupille curieuse sur les articles. On y parle d'Arthur Dreyfus (voir ma chronique d'hier). Rien sur la rencontre splendide entre le monde du travail manifestant et le monde littéraire un moment immobilisé, rien non plus sur l'image saisissante, qui m'a été rapportée ici, du contraste entre les militants des droits humains faisant cercle de silence comme chaque mois devant la mairie, et le monde littéraire qui feint d'ignorer les problèmes du monde; d'un côté on se drape dans la dignité de l'homme, de l'autre, on parle, on agite ses mots, on plane au-dessus de la poudrière. On s'étonnera demain que la marmite explose.

Et puis, comme il faut bien vivre, et qu'une journée sans travail, c'est du beurre en moins dans les épinards du lendemain, il me fallait tourner les dos à la ville, aux pages ouvertes, et parcourir, jusqu'à mon lieu de travail le silence des quartiers où rien ne se passe jamais.

Une matinée, une petite matinée : j'avais pris mon après-midi, avec la ferme intention de me préparer à ma lecture du soir, et de déambuler un peu, entre deux écritoires, les oreilles aux aguets.

C'était sans compter sur l'accueil chaleureux, en page soixante dix neuf, de ma proposition de lecture. Chaleureux mais, sans sonorisation, et, pour finir, sans chaises. Je dus donc, au dernier moment, me mettre en rapport avec une commune voisine et aller chercher moi-même les chaises pour mon public, les charger dans mon véhicule flambant neuf, les décharger, les monter jusque sur le no mans land, les installer en deux rangées en veillant à ce que mon public ne pose ses pieds sur quelque étron déposé là comme une mine, ramener le véhicule, le remettre en état pour que ma compagne puisse emmener les enfants au judo, me changer et revenir en hâte, priant pour que les nuages lourds ne viennent pas se soulager, juste au moment…

C'est ce qu'ils firent. On ne peut résolument compter sur personne. Sous la pluie insistante, mon public dût plier les chaises, les mettre à l'abri. Je restais là, jurant contre le temps qui semblait obtenir ce que d'autres avaient rêvé : l'échec.

La porte de l'école de musique s'ouvre. La secrétaire vient vers moi: “Nous vous proposons de vous installer en salle trois cent sept!”

Voilà que la lecture est sauvée, qu'il ne reste plus qu'à croiser les doigts pour que le public en retrouve la trace. Sans doute, devant les obstacles trop nombreux, un nombre non négligeable ne sera pas venu. Mais comment remercier la douzaine qui écoutait, parfois avec larmes aux yeux, les lettres venues de cette clandestinité où se tissait notre liberté d'aujourd'hui, que certains voudraient tant écorner, raboter…

 “J'ai choisi la justice […], pour rester fidèle à la terre. je continue à croire que ce monde n'a pas de sens supérieur. Mais je sais que quelque chose en lui a du sens et c'est l'homme, parce qu'il est le seul être à exiger d'en avoir. Ce monde a du moins la vérité de l'homme et notre tâche est de lui donner ses raisons contre le destin lui-même. Et il n'a pas d'autres raisons que l'homme et c'est celui-ci qu'il faut sauver si l'on veut sauver l'idée que l'on se fait de la vie.” [1]

Les chaises rechargées, épuisé, je rentre chez moi. Dehors, la pluie insiste encore un peu. Le téléphone sonne. Je décroche: “Allô, c'est Arthur Dreyfus, un ami m'a dit d'aller voir sur votre blog et j'ai lu ce que vous écriviez sur moi. Est-ce que nous pourrions nous parler?”

Non, pas ce soir, mon esprit serait trop confus, demain, si vous voulez, ou dimanche, peu importe, mais pas ce soir…

Et, demain, nous serons déjà à la fin du menu. Plus qu'une journée donc pour boire à la source des mots.

Xavier Lainé

Manosque, 25 septembre 2010

[1] Albert Camus, Lettres à un ami allemand, édition Folio


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