Magazine Nouvelles

Blanche

Publié le 26 septembre 2010 par Banalalban

Et je ne sais pourquoi, mon cœur se met à battre la chamade, comme si ces simples paroles, les premières que nous échangeons en trois ans qu’elle est ici, scellent par elles-mêmes une sorte de relation qui me terrifie. Cela fait des années que je ne suis plus doué pour l’amitié ni même l’échange de bons sentiments. J’ai perdu aux fils des ans les seuls amis que j’avais auparavant : à peine nous appelons-nous pour les anniversaires ou pour les vœux de nouvel an, comme s’ils ne pouvaient concevoir, par conscience, de me perdre totalement. Comme si l’amitié était un dû alors que pour moi, elle devient peu à peu une plaie, une façon d’un peu se sceller plus en avant dans une nostalgie du passé que je ne m’autorise plus.

Et tout à coup je me mets à envisager ce que serait ma vie si maintenant, dans l’instant, j’autorisais Blanche à gagner du terrain. J’imagine les repas qu’elle me concocterait, nerveuse dans sa cuisine, moi sur une des chaises de la salle à manger, son mari _ parce qu'elle est mariée _ assis juste en face de moi. Je parlerais sport avec lui, du dernier match retransmis à la télévision la veille et que nous aurions visionnés ensemble, riant de bon cœur, à moitié enivrés par les bières fraîches qu’il serait allé chercher dans le réfrigérateur américain hors de prix et commandé sur internet. Je m’imagine le rôti qu’elle poserait sur la table,

« et vous m’en direz des nouvelles »,

la façon dont elle retirerait les gants anti-chaleur achetés par correspondance après en avoir vu la publicité dans une émission de télé-achat

« ils les utilisent pour construise les fusées »,

et la façon dont nous nous passerions les gants, palpant la matière, jugeant leur légèreté étonnante ainsi que leur douceur prodigieuse. Et puis je mangerais la viande que Blanche n'aurait pas manqué d'accompagner de délicieuses pommes de terre sautées, nappées d’une sauce un peu écœurante mais au goût original

« vous n’aimez pas les airelles ? »,

dont elle me resservirait néanmoins malgré mon signe de main dissuasif et son mari déclarerait alors, complice :

« elle me fait le coup tout le temps avec sa sauce »,

et mon sourire serait découvert par une Blanche un peu vexée qui bouderait quelques instants et qui finirait par admettre le côté indéniablement raté de sa sauce

« je ne retrouve jamais le goût exacte, il faut peut-être que j’abandonne définitivement la cuisine aux baies »

et nous ririons, gorges déployées, nous tenant les cuisses, le ventre convulsé jusqu’à la crampe, témoins bien trop bruyants de cette excellente soirée.

Et mon ventre effectivement semble à présent se retourner à mesure que j’imagine cette scène gerbante de banalité.

Ne pas céder.

Ne pas devenir l'ami de Blanche.

Jamais.


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazines