Obsédés du scripte...

Publié le 27 septembre 2010 par Sophiel

C’est en raccrochant pour la énième fois au nez d’un quelconque démarcheur que j’ai eu soudainement une pensée charitable pour ces êtres qui, humains comme nous, sont à l’autre bout du fil, tentant scrupuleusement de suivre leur scripte, malgré des interlocuteurs peu aimables.

A notre décharge – nous, détestables interlocuteurs – si ces charmants télé-démarcheurs avaient l’obligeance d’écouter nos réponses, je suis convaincue que nos échanges se passeraient dans des conditions bien plus sereines.

Néanmoins, je décide que, la prochaine fois, je serai plus aimable et que je déclinerai gentiment toute invite, honnête, bien sûr.

Justement, le téléphone entonne sa joyeuse mélodie, je n’ai pas le temps d’atteindre l’appareil que déjà, un gremlin s’en est emparé :

  • -   Allô, c’est qui ?
  • -   …
  • -   Maman, c’est un monsieur, il veut parler à ma maman. T’es là ou t’es pas là ?

Je prends l’appareil, me le colle sur l’épaule tout en vérifiant que l’exercice de maths du Gremlin Mâle est correct :

  • -   Allô ?
  • -   Madame L ?

Mes poils se hérissent, j’ai reconnu ce ton si particulier du « Madame L », mon doigt se tend vers la touche rouge du combiné quand je me souviens, in extrémis, de mes bonnes résolutions :

  • -   Elle-même.

Un blanc s’installe. Le « elle-même » n’est certainement pas inscrit dans le scripte, le pauvre bougre se demande s’il doit directement passer à la question 3 ou s’il lui faut tout reprendre depuis le début…

  • -   Oui ? reprends-je pour l’aider.

Aussitôt, j’entends un soupir de soulagement. Chouette, j’ai donné la bonne réponse…

  • -   Bonjour Madame L, auriez-vous deux minutes de votre temps à m’accorder ?
  • -   C’est que…
  • -   Très bien ! Je vous en remercie !
  • -   Bigre, c’est qu’il est coriace l’animal, mais je m’accroche :
  • -   Non, écoutez, vraiment, je n’ai pas le temps.

Il est bien entendu que je mens effrontément et ce, devant les gremlins, donnant par là un exemple on ne peut plus anti-éducatif, d’autant  que l’exercice de maths étant juste, je me suis affalée sur mon lit dans la contemplation du plafond.

  • -   Je n’en ai vraiment que pour deux minutes, insiste-t-il, alors, avez-vous des animaux ?
  • -   Euh… à part 3 gremlins, non, fais-je distraitement.

Un bruit frénétique de feuilles que l’on froisse m’avertit que la panique s’est emparée du petit bureau outre-méditerranée d’où m’appelle ce jeune homme. Prenant un risque fou, il sort de son scripte :

  • -   Des quoi ?
  • -   Des gremlins.
  • -    ????
  • -   Non, mais c’est une blague, ajoute-je devant son manque d’humour.
  • -   Ah… Bien, répond-il sans une once d’amusement dans la voix. Avez-vous des animaux ?
  • -   Non ! m’exclame-je fièrement persuadée de mettre un terme à notre conversation mondaine.
  • -   Envisagez-vous d’en adopter un ?
  • -   Non…

La lassitude me gagne, je prends une longue inspiration avant de lui signifier la fin de notre échange, mais Speedy embraye déjà sur la question suivante :

  • -   Si vous deviez en adopter un, lequel choisiriez-vous ?
  • -   Mais je viens de vous dire que je n’en veux pas !
  • -   Je vous ai bien compris Madame L. Donc, si vous deviez en adopter un, lequel choisiriez-vous ?

Et voilà ! Pour une fois que j’avais décidé d’être gentille, voilà qu’apparaît la phrase de trop :

« Je vous ai bien compris… » ! C’est à se demander si l’esprit du Général De Gaulle ne plane pas au dessus des centres d’appels…

Quoiqu’il en soit, cette petite phrase, insignifiante en soi, me plonge dans la désagréable certitude d’être prise pour une andouille, or, je suis certaine que dans la formation de télévendeur de deux minutes trente que ce jeune homme a reçu, il est spécifié : « Ne jamais prendre le client potentiel pour une buse ! »

Rassemblant le peu de patience qu’il me reste, j’articule :

  • -   Je-n’ai-pas-d’animaux-je-n’en-veux-pas-et-je-ne-dois-pas-en-adopter-merci !
  • -   Bien sûr Madame L…, reprend aussitôt la sangsue, préféreriez-vous un chien, un chat ou un poisson rouge ?

Je décolle lentement le combiné de mon oreille, l’observe un moment, en silence, puis, sans plus de cérémonie, ni de scrupules, appuie fermement sur la petite touche rouge du téléphone :

Tut, tut, tut… 

NB : Ce genre d’épisode, bien que fréquent, n’a rien de comparable avec l’opérateur que vous contactez parce que votre modem ne fonctionne plus et qui vous répond : « Si j’ai bien compris Madame L, vous n’avez plus de connexion ? Bien, connectez-vous sur internet s’il vous plaît… »

Scripte, quand tu nous tiens...