Garage Sale

Publié le 27 septembre 2010 par Insideamerica

De toutes les pièces que compte une maison américaine type, le garage est sans conteste la plus stratégique. Toutes les maisons américaines en ont au moins un (souvent double), et c’est une pièce à part entière. C’est une fondation essentielle, sur laquelle repose la famille, la communauté et — n’ayons pas peur des mots — le système américain tout entier.

Il est d’abord conçu pour loger les voitures, bien sûr. Ça semble une évidence dit comme ça, mais contrairement aux maisons françaises que les architectes s’obstinent à rendre inaccessibles à tout véhicule depuis l’invention du moteur à explosion, là, c’est vraiment vrai. Le garage américain n’est pas caché au fond d’une allée de gravillons sans possibilité d’en sortir à moins de la périlleuse marche arrière le long du mur, si couteuse en rétroviseurs droits. Il n’est pas non plus enterré sous la maison, au bout d’une rampe à l’inclinaison trop forte pour ne pas déchirer le pot d’échappement de la DS hydraulique de papa, et avec un pillier au milieu pour niquer la peinture de la portière des voitures dont le pot aurait survécu à la descente. Non. Le garage américain est large et ouvert au niveau la rue, capable d’accueillir au moins deux véhicules de bonne hauteur sans dévisser l’antenne de toit.

Cette conception pratique permet à des générations d’américains depuis Henry Ford d’acheter les voitures qui leur plaisent sans se poser la question de savoir si elles vont « rentrer dans le garage ». D’ailleurs, je soupçonne que l’industrie automobile américaine doive l’essentiel de son succès auprès des classes moyennes à la bienveillance des architectes qui, après s’être penchés sur le cas des garages, ce sont empressés de rendre les restaurants (Drive Thru) et les cinémas (Drive In) aussi accueillants que possible à tout ce qui roule.

En plus d’un toit pour la voiture, le garage offre également un refuge à tous les mâles américains dont le gêne innovateur est inhibé par l’environnement familial du salon. C’est dans les garages que l’on trouve les geeks au travail sur la prochaine révolution industrielle. Sans le garage de Steve Jobs ce blog ne serait sans doute pas rédigé sous le signe d’une pomme.

Mais si le garage reste aujourd’hui encore le vrai poumon de la vie économique et sociale américaine, c’est surtout en raison de sa drive way attenante. D’abord, cette petite allée entre le garage et la rue permet de loger le panneau de basket. C’est une manne pour les fabricants de panneaux de basket, mais ça permet aussi aux enfants de rameuter tous les copains de la rue au seul bruit des paniers, et d’animer ainsi la vie sociale du quartier.

La drive way permet aussi de garer la voiture à l’extérieur, sans effort de stationnement (demandez aux parisiens ce qu’ils pensent de se garer dans la rue), et de libérer de la place dans le garage pour stocker tous les trucs dont on ne veut plus dans le salon. De la vieille télé à tube cathodique qu’on a remplacé par la nouvelle télé LCD de 32 pouces qu’on a remplacé par la nouvelle télé plasma de 50 pouces qu’on va remplacer par la nouvelle télé 3D à Noël : comme pour les voitures, les garages permettent aux américains d’acheter de nouvelles télés régulièrement sans avoir à se soucier de leur taille. Avec les meubles, les jouets, les frigos, les outils et les petits appareils ultra-pratiques d’autrefois, le garage joue un rôle stratégique pour de nombreux secteurs économiques en offrant un espace logistique à bas prix, indispensable à une fréquence de renouvellement élevée des biens de consommation dits durables (1)

Quand le garage est plein, l’américain déménage pour une maison avec un plus grand garage (le plus souvent à crédit, ce qui provoque parfois des crises financières mondiales) ou, en général une fois par an, il ouvre le garage. C’est ce qu’on appelle un « Garage Sale » ou « vente de garage ». Il est tentant de traduire par « vide grenier » mais ça n’a rien à voir. D’abord parce qu’on ne vide pas son grenier aussi facilement qu’on ouvre son garage (voyez votre architecte français pour plus d’explications). Ensuite et surtout parce qu’il suffit ici d’ouvrir son garage pour trouver des clients, ce qui rend la chose carrément plus facile que de prendre son ticket à la mairie pour avoir une place à la prochaine brocante et de charger la camionette de Kiloutou avec tout son bazar pour aller le vendre sur la place du marché.

L’ouverture des garages consacre leur utilité économique et sociale en alliant transactions financières et rencontres de quartier. On y vend une ou deux télés pour la chambre des enfants des voisins tout en buvant une limonade (que les enfants trouvent moyen de vendre 25 cents la tasse) et en échangeant allègrement quelques mots sur la pluie et le beau temps (en Californie : le beau temps et le beau temps).

Ce week-end, c’était la grande ouverture des garages de notre quartier. Comme on vient de déménager, il reste encore pas mal de place dans notre garage et nous n’avions que peu de trucs à vendre. Mais on l’a ouvert quand même et, avec les limonades, les enfants qui assuraient l’essentiel de la permanence à la caisse ont malgré tout réussi à se débarrasser de quelques vieux jouets pour un total de 60 dollars ! Mais pendant que nos « trucs » allaient remplir les garages des autres, on remplissait le nôtre avec une vieille nouvelle table de ping pong à 10 dollars et une table de Air Hockey (les palets sur coussin d’air) à 10 dollars également. Le bénéfice de 40 dollars ira dans la cagnotte des week-ends familiaux.

C’est avec un garage qu’on apprend le mieux les principes fondamentaux du capitalisme américain !

(1) Il faut noter qu’un hiver doux est nécessaire pour garer sa voiture à l’extérieur toute l’année, et pouvoir dédier l’intégralité du volume du garage à d’autres activités de stockage ou d’innovation. C’est la raison pour laquelle l’essentiel de l’innovation et de la consommation des Etats-Unis se concentre dans les garages californiens.