Dernier Jour De L'Année : Le Menu Du Condamné.

Publié le 31 décembre 2007 par Mélina Loupia
Ce matin, avant de procéder au dernier ménage à fond de l'année de la maison, je me penche sur l'éphéméride. Entre autres banalités du soleil qui se lève et se couche, le genre de blague qu'on ne connaît que trop, je lis le proverbe du jour: " L'envie n'a point de jour de fête." Alors là, c'est bien vrai ça, comme dirait la Mère Denis, la pauvre, dont on dit d'elle qu'elle ne tient pas la grande forme. En ce jour de fête, puisque c'est le dernier de l'année et que nous réagissons tous à un seul instinct, celui d'y survivre ainsi qu'à ses successeurs, on a tous l'envie de fêter ça. Une journée et une soirée inoubliables que demain fera en sorte de faire oublier. Nous le savons (de Marseille) tous et pourtant, nous tenons absolument à le rendre mémorable. Pour ce faire, rien de tel que l'effervescence, voire l'ébullition, la profusion des provisions alimentaires, de mets de choix, de menus de fêtes et de crus longs en bouche. Probablement le seul jour de l'année où l'inflation du taux de cholestérol est réglementaire. La journée de tous les excès, puisque c'est la dernière et que demain, on repart à zéro, gavés de bonnes résolutions solennellement prises sous l'emprise de l'alcool. Mais revenons au début de la soirée. Il ne s'agit pas de commettre la faute de goût qui plomberait toute l'ambiance. Après mon attentat réussi du menu de Noël, toute la famille avait admis que j'avais bien droit à un jour de congé, le dernier serait le meilleur. La cause était entendue, je ne lèverai pas une paille. On allait le faire pour moi et chez moi. On, c'est la mère de Copilote. Cuisinière hors-pair, sacrée "Condor Bleu" par Jérémy lorsqu'il était en apprentissage verbal, voilà qu'elle se propose il y a quelques jours de nous concocter un réveillon inoubliable. Je me rappelle qu'elle a prononcé des mots tels que " sanglier, civet, foie gras, pintade, aumônières, tu fais rien, je m'occupe de tout". A ses mots, je ne me suis plus sentie de joie et je n'ai pu que m'incliner. "Puisque vous insistez, je vous passe la main.-Oh maman, dommage, on voulait de la raclette nous.-Voyons les enfants, la raclette pour le réveillon mais enfin, ça se fait pas, tout de même, allons. -Votre pauvre mère a raison, c'est vrai que les temps sont durs, mais enfin, tout de même, voyons, allons, les placards sont pleins, ne nous privons pas de mets de choix et de luxe-Oh nous, on dit ça juste pour qu'elle ait rien à faire maman -Rien à faire? On voit bien que c'est pas vous qui épluchez les patates, découpez la raclette qui pue des pieds et cherchez la rallonge partout dans la maison. Mamie a raison, je ne fais rien.-Oué, surtout après la tuerie du 24." Marché conclu, je me préparais donc à savourer cette dernière journée de l'année, alanguie sur le canapé, à attendre l'arrivée de la traiteuse et de son commis de chauffeur de mari. Habitués des lieux, je n'aurai même pas à leur désigner la cuisine ni l'emplacement des ustensiles ou des ingrédients. Ainsi, alors que derrière le mur de séparation, leurs bruits ainsi que ceux de Placenta berceraient ma sieste, cependant que les enfants iraient jouer dehors, sans claquer la porte toutes les 2 minutes, sous prétexte d'un caca urgent ou d'une plainte déposée provoquée par d'infâmes insultes sur un pénalty tendancieux. Le rêve était à ma portée. Jusqu'à hier soir. Un coup de téléphone. Ma cuisinière au bout du fil. Pour un rapide brief. "Bon alors j'ai tout, le sanglier, la pintade pour les enfants, le foie gras, le dessert, même tu vois tu n'auras pas à le faire.-Super, alors là, vraiment je suis contente. Bon, sinon, vu que vous n'avez plus le chien, vous resterez dormir, on se fera une chouette soirée, une belote ou deux, un Trivial, tout ça. -... Dormir? -Bé oui, Copilote a déjà déplié le cliclac du bureau, on vous le mettra dans le salon, vous serez mieux. -...Mais je crois qu'on s'est mal compris. -C'est cette saloperie de téléphone, dès que je m'éloigne de la base, ça crépite. -Non, en fait, on avait prévu de venir le 1er, soit mardi midi, enfin, midi, on est large, on sait que vous faites la fête entre amis chaque année, on va pas débarquer à midi pile hein. -Oh vous savez, j'ai encore de bonnes réserves, je sais me coucher ivre-morte à l'aube et me lever fraîche comme une baudroie à 10h pour le café.  -Entendu alors à mardi. -A mardi, je vous embrasse." Je rejoins Copilote dans son bureau, je l'avoine juste le nécessaire, qu'il admette qu'une fois de plus, sa mémoire lui fait défaut, qu'il serait temps qu'il prenne la bonne résolution soit de prendre des notes, soit de manger du poisson 2 fois par semaine, et je m'en retourne, les jambes lourdes à l'idée que pour la Saint Sylvestre, j'allais devoir composer mon menu toute seule. Ce que j'explique aux enfants, après avoir focalisé leur attention sur le bruit que fait ma bouche pendant que mes lèvres remuent, soit toutes consoles éteintes et troupeau d'enfants qui ne sont pas les miens rendus à leurs chers parents. "Ah non, alors là, pas question que tu nous fasses le repas de demain maman.-Ou alors, c'est la raclette. -Mais j'ai rien pour en faire, juste 4 tranches de jambon bonnes jusqu'à ce soir et 3 sachets de soupe. -C'est pas un souci ça, tu me fais une petite liste et entre midi et deux, demain, j'irai acheter tout pour la raclette. -Si vous y tenez, à votre putain de raclette, merci pour la confiance, je vous ai jamais empoisonnés que je sache, vous êtes là pour en témoigner. -Non, c'est vrai, mais avoue que tu as tout fait pour. -Pense à acheter 3 économes de plus, avec celui qu'on a, ça fera le compte pour éplucher les patates, perso, j'ai dit que je levais pas une paille, je m'y mets dès maintenant, faudrait pas que je me fasse un claquage." La soirée a été loin d'être festive, d'autant plus qu'on était que le 30. La nuit, elle, en revanche, a été peuplée de cotillons de pelures de patates, de serpentins de raclette fondante et de verres remplis d'eau plate. Et ce matin, en me levant, alors que le soleil met en évidence la poussière sur les meubles et la boue séchée sur le carrelage, je me résous seule à retrousser les manches de mon pyjama. J'allais non seulement faire le ménage à fond, mais encore la raclette et tout le tremblement. "Tu m'as pas fait la liste. -Je vais checker vite fait les placards." Arrivée dans la cuisine, la chaussette molle traînant sur le pavé souillé de 15 jours d'absence totale de vapeur salvatrice, je trouve mon trio à terre, devant les placards ouverts. "Maman, y a plus de lait, plus de chocolat, et les pains au lait sont verts.-Y a du lait en poudre et des sachets de chocolat soluble, et tout au fond, des gâteaux secs, démerdez-vous. -C'est les pains au lait qui sont secs et le lait est périmé, comme le chocolat,  y a marqué "11/07" sur les sachets. -Oh commencez pas à chipoter sur 30 jours. -Bon, ok, je rajoute lait, chocolat, café, pains au lait à la liste. -Papa, n'oublie pas la raclette. -Non, ne te fais pas de souci Arnaud, mais surveille bien ta mère, et vous deux aussi, si vous la voyez aller vers le congélo ou à l'épicerie, laissez-la faire, mais appelez-moi sur le portable." Ménage et raclette. Pour le dernier jour de l'année, voilà mon menu de condamné.