Mon moi à sept ans, tout occupé qu’il est à s'occuper, analyse cette fin de journée. Analyse les phrases de sa mère peu avant.
« _ Allez dehors toi et ton frère : on doit parler avec papa ».
« Hugues, va dehors ! ».
« Hugues, ne reste pas dans mes pattes ».
Mon moi à sept ans obéit, va jardiner.
Mon moi à sept ans fait une rigole dans de la terre mouillée à côté des plants de tomates, une longue rigole qu’il façonne avec ses petites mains d’enfant et ses ongles qui se noircissent de boue, il tourne et retourne le temps qui se fane autour de lui. Il en goutte un peu la masse. À sa taille.
Il remplit l’arrosoir et fait couler l’eau à l’une des extrémités de la rigole. Le liquide coule alors lentement le long de la gouttière de terre, se faufile dans la pente construite avec minutie.
Mon moi à sept ans suit la course de l’eau qui peu à peu se charge de terre fertile, d'humus, de petites aiguilles de pin et de brindilles. Puis, minutieux, il s’accroupit et sauve un grillon qui menaçait de se noyer. Il le dépose précautionneusement sur le bord du fleuve en miniature et le contemple un instant. Le grillon, tout d’abord hébété, se frotte ensuite les pattes l’une contre l’autre comme le ferait une mouche. Mon moi de sept ans est content : il a sauvé une vie de grillon.
Son frère à 11 ans pleure. Juste à côté. Il n'a rien vu de la noyade évitée de justesse.
Il dit : « Papa et maman vont divorcer... c’est sûr… ».
Puis :
« Hugues, ne reste pas dans mes pattes ».
Alors mon moi à sept se met à pleurer, sans grande conviction, sans comprendre vraiment. Juste pour faire un peu pareil. Parce qu'il fait ça depuis sept ans sans en comprendre vraiment la raison.
Mais ce sauvetage de grillon quand même, c'est quelque chose...