lucidité

Publié le 06 mars 2010 par Plumaplumbum


« Voyez les croyants de toute foi! Qui haïssent-ils le plus? Celui qui brise les tables de leurs valeurs, le destructeur, le criminel, - Mais celui là, c'est le créateur. »   Nietzsche - Zarathoustra


On m'a parfois reproché la "froideur" de mes analyses qui désenchanteraient les relations humaines, cela parce que j'ai eu le malheur de les considérer avec lucidité. À ces personnes je réponds que j'ai été le premier à me juger de la sorte. Rien n'est plus difficile en effet que de reconnaître et d'accepter ses propres déterminismes, mais à terme rien n'est plus salutaire. C'est même indispensable à toute tentative d'introspection, à toute quête de vérité. Et contrairement à ce que pensent certains cette démarche n'entraîne pas nécessairement pessimisme & fatalisme...
Je ne compte pas débattre ici de façon approfondie l'opposition entre déterminisme et liberté. Je n'adhère à aucune doctrine manichéenne qui exigerait l'un ou l'autre en refusant toute idée de mélange. Il me semble bien plus naturel de considérer les deux à la fois : nous sommes libres ET déterminés. Cependant pour être vraiment libre il faut obligatoirement passer par la case analyse, seule à même de nous permettre d'accéder à une réelle liberté de choix, d'opinion (qui n'est pas totale certes, mais bien plus grande qu'auparavant). Notre cerveau est une machine à déformer la réalité, tout ce qui s'y passe doit être observé avec sincérité : Pourquoi ai-je ressenti cela? Pourquoi ceci me parait-il "bien" ou "mal"? Mes sentiments envers ma famille sont-ils objectifs? Pourquoi cette personne m'est-elle antipathique? Pourquoi ai-je eu le coup de foudre? En quoi tel concept a-t-il plus de légitimité que les autres? Pourquoi suis-je convaincu de ceci? etc. C'est parce que je me pose constamment ce genre de questions qu'on a pu me considérer comme une personne insensible qui agirait en psychologie comme un expert comptable, mais je ne fais que constater une réalité que beaucoup préfèrent ignorer. Qui est déjà sur la voie de l'introspection lucide est convaincu de la part importante, si ce n'est essentielle, du conditionnement inconscient de nos actions et réflexions.
Ces déterminismes sont multiples : on peut évoquer l'influence de nos gènes, de nos hormones, de nos besoins physiologiques, du milieu social, de notre famille, de notre époque, de notre éducation, de notre vécu... On pense sincères nos convictions politiques. On est persuadé du caractère éternel d'une amitié. Nos enfants sont forcément les plus beaux et les plus intelligents du monde. On pense tous avoir raison et que, par conséquent, le reste du monde à tort, etc. Analyser en profondeur nos motivations c'est couper l'arbre et découvrir la forêt. Certains, effrayés, préféreront tourner le dos et déclarer, avec violence parfois, qu'il n'existe aucune forêt. D'autres seront déprimés, blasés, dégoutés de la tâche à accomplir et tomberont dans un nihilisme de base qui est justement le piège à éviter. L'erreur serait effectivement de conclure "Et bien quoi! Je ne suis pas libre? Mes gênes, ma famille, mon époque m'ont modelé sans que je n'y sois pour rien? L'éthique, l'amour, l'amitié ne sont qu'illusions! Plus rien n'a de valeur alors? A quoi me sert de faire des efforts?". Cela semble caricatural et pourtant beaucoup de gens partagent cette idée qu'une analyse approfondie de notre psyché, de nos valeurs, de notre comportement, ne peut conduire qu'au fatalisme et au nihilisme. Je l'ai cru moi-même avant de m'extraire de ces pensées asphyxiantes par la réflexion et par de saines lectures. Je vous exhorte donc à éviter ce piège et à suivre une troisième voie, celle d'une joyeuse lucidité. Cette démarche, si elle est motivée par un réel besoin de progression, est la seule à même de rendre les relations humaines authentiques.
Est-ce mal de démasquer les illusions? C'est certes souvent douloureux, mais pas pour autant négatif, bien au contraire! Une fois "déconditionné" je peux alors réellement découvrir et aimer les personnes qui m'entourent pour ce qu'elles sont et non parce qu'elles répondent à une série de critères inconscients. Se poser trop de questions peut effrayer certains, l'illusion est tellement plus douillette. Choisir la lucidité c'est effectivement renoncer au confort immédiat, mais c'est aussi opter pour la sérénité à long terme. Comme vous le voyez l'analyse approfondie ne conduit pas forcément au nihilisme, mais permet au contraire de se "construire" de façon saine et durable en évitant ainsi beaucoup de pièges existentiels et humains qui semblent inévitables pour beaucoup de monde.
Se savoir déterminé, conditionné par de nombreux facteurs inconscients permet de faire le tri et de dégager un réel espace de liberté...

Un peu de lecture (du plus abordable au plus difficile):
-Albert Jacquard "tentative de lucidité"
-JP Sartre "l'existentialisme est un humanisme"
-Krishnamurti "de la vérité"
-Robert Wright "l'animal moral"
-CG Jung "essai d'exploration de l'inconscient"
-Nietzsche bien sûr!
-Paul Diel "culpabilité et lucidité"
-Gerald Edelman "biologie de la conscience"