L'école de la Note
Mon cher Victor,
Allez, revenons à l'essence de ce blog : l'Ecoooole ! Aaaah ! A force d'écouter, au choix, tes jérémiades de petite
amie bafouée et ou tes futilités de célibataire toute neuve, j'en avais oublié que tu étais institutrice ! Toi qui disais que j'étais trop centrée là-dessus... Tu ne
manques pas de toupet !!! Hihihi ! Tu grimpes à l'échelle tout de suite ! Tu sais comment je suis...
Un sujet qui me trotte dans la tête en ce moment de par quelques petites ennuis que j'ai connus à l'école à cause de cela : les notes ! Les notes
? Oui. Ou plutôt : comment évaluer ? Pour le premier trimestre, j'avais prévenu les parents à la réunion : je ne mettrai pas de notes, du moins pas de notes chiffrées.
Et pourquoi donc un tel choix ? Je déteste la compétition et le classement qu'on opère, plus ou moins consciemment, plus ou moins volontairement,
entre les enfants... Tu oublies que les enfants, eux-mêmes, entretiennent ce classement ! Oui, c'est vrai. Bon. C'est
qu'ils sont féroces, à cet âge là...
J'avais donc dit que je noterai sous forme de lettres pour instaurer un climat de travail agréable en cette première partie de l'année. Bon. Volonté quelque peu idéaliste, j'ai eu tôt fait
de m'en rendre compte, puisque les enfants trouvent toujours le moyen de comparer leurs notes, surtout si, comme moi, on fait la bêtise d'affubler les lettres de + ou de - pour signifier que
telle ou telle notion est plus ou moins bien acquise. En résumé, cela n'évite pas du tout le phénomène si bien connu des instits' et si bien connu de chacun d'entre nous, qui avons tous
été un élève, j'entends le phénomène du : "T'aaaaaaaaaaas coooooombiiiiiiiiiiiien ???????". Ce beau principe est donc difficilement tenable. Pourtant, je l'ai défendu au mieux
tout au long de ce premier trimestre.
Jusqu'à ce fameux jour où un père est venu se plaindre à moi de mon système de notation. Bon. Son gamin "a besoin de notes, ça le booste", "dans le bulletin, il
n'y a que des appréciations" et "Toutes les maîtresses donnent des notes". Bon. Avec toute la diplômatie dont je suis capable, j'ai tenté d'expliquer à ce monsieur que les notes n'étaient
pas obligatoires et que contrairement à ce qu'il affirmait, toutes les maîtresses ne mettaient pas de notes, pour la simple raison que notre liberté pédagogique nous donne le droit de choisir
le système qui nous convient le mieux. J'ai également précisé que les lettres étaient en soi une notation et que tout était expliqué dans le bulletin. Bon. A vrai dire, il ne me semble
pas qu'il m'ait vraiment écoutée, d'autant plus qu'il a été faire un scandale à la directrice par la suite, allant jusqu'à proférer des menaces : "Cela va monter très haut !".
Oh mazette... Voici ta carrière en péril !
A la pause de midi, j'en parle aux collègues. L'instit' de CM2 a l'air bien embêté pour moi : "Au début, je faisais comme toi. J'appliquais ce qu'on nous avait appris, je ne mettais pas de
notes. Sauf que c'est bien joli, tout ça, mais les parents, ils en veulent des notes. C'est difficile à comprendre pour un Inspecteur... En théorie, nous sommes dans notre droit, bien sûr, car
la hiérarchie nous déconseille de mettre des notes chiffrées, donc à la limite, tu vois, l'Inspection va totalement approuver ton choix. Mais enfin... Quand tu te retrouves avec un tout un tas
de parents sur le dos, qui ne jurent que par la note, la note, la note... Il y a un moment où tu penses aussi à faire ton boulot dans les meilleures conditions possibles... Et là, tu mets des
notes chiffrées, quitte à déplaire à l'Inspecteur !".
Mon dieu, mon dieu... Et ce père a appelé l'Inspection ? Je n'en sais fichtrement rien et à vrai dire, je ne me fais pas du tout de souci. Je n'ai
rien à me reprocher. Je fais mon boulot du mieux que je peux. Non, à vrai dire, ce n'était pas vraiment sur les menaces que je souhaitais attirer ton attention, Victor, mais sur ce satané
problème de notes.
Que faire ? On nous a dit, à l'IUFM, que mettre des notes chiffrées, "c'est mal". Sauf qu'on a omis de nous préciser, comme dans la formation en général, que les parents font de plus en plus
partie de l'école, et que bien faire son métier, aujourd'hui, c'est aussi bien tenir compte d'eux. Ah, ça, ce n'est pas une nouveauté... Combien de fois t'ai-je
entendu dire ici, Mirabelle, que la relation aux parents étaient totalement éclipsée lors de votre formation ? Oh, je ne les compte plus ! Toujours est-il que cette histoire de
notes, ça me turlupine beaucoup. Cela me fascine presque de constater combien certains parents sont obnubilés par la note. Pourtant, par la note, on tend à montrer si une compétence est
acquise ou non. C'est aussi le but des A, des B, C et D que j'ai choisis d'adopter. N'est-ce pas là l'important ?
Bref. Je pensais de toute façon changer mon système pour le deuxième trimestre. Les gamins vont être ravis ("Maîîîîîtresse, pourquoi vous mettez pas de notes ? Avec notre maîtresse de
l'année dernière, on avait des notes !!!") et les parents aussi, même si je ne le change pas pour faire plaisir aux parents. J'ai bien envie de mettre des points rouges et des
points verts, qu'est-ce que tu en dis ? Eh bien, Mirabelle, si tu veux vraiment savoir ce que j'en pense... Ehm... Tu penses vraiment que c'est la meilleure
solution ? Je te charrie, Victor !!! Alors tu vas mettre des notes chiffrées ? Oui. Je me dois de regarder la vérité en face : mon
histoire de lettres, c'est la compétition aussi. Adapte, Mirabelle, adapte ! Ce n'est rien d'autre que ton métier !!
Enfin bon, moi, ce que j'en dis surtout, c'est que l'époque où les enfants ne travaillaient que pour avoir des bonnes notes, et non pour acquérir des connaissances n'est pas terminée,
malheureusement... C'est tout un rapport au travail, à la récompense, que l'on devine en dessous de tout cela. C'est la façon dont on envisage le rôle de l'Ecole qui est en jeu.
Transmettre des connaissances (rrra, j'ai dit "transmettre", qui renvoie à "transmissif", mot à bannir !!!), faire en sorte que les enfants aient acquis des
compétences, c'est mon boulot. Les parents ne devraient voir que le résultat : que leur gamin sache ou non lire un texte et le comprendre, qu'il sache ou non faire une multiplication à
deux chiffres etc. Peu importe la manière dont on exprime ce résultat, pourvu qu'il traduise une compétence.
Ce qui me gêne, moi, dans tout ça, c'est qu'on est en train de cantonner les gamins dans une sorte de culture de la note. Ils vont bosser pour la note, sans voir ce qu'il y a derrière.
Sans voir ce qu'est sensée révéler la note. Ils vont pleurer parce qu'ils ont un B (c'est en partie pour cela que j'estime que mon grand principe est intenable) et parce qu'un B
c'est moins bien qu'un A. Or, d'habitude, ils ont des A, d'où les larmes. Et on aura beau leur expliquer que B, cela veut dire que "c'est bien", qu'il ne faut pas dramatiser les notes,
beaucoup d'élèves resteront bloqués là-dessus.Et cela commence de plus en plus tôt ! Et toi, tu es en train de baisser les bras... Non. Je
reconnais juste qu'il est difficile de changer les mentalités quand, depuis longtemps, les élèves sont conditionnés par la note. Parfait. Alors tu sais ce qu'il te
reste à faire ? Non. Tu n'as plus qu'à aller exercer en Angleterre. Là, au moins, avec tes histoires de lettres, tu seras dans la norme
!
publié dans : Mirabelle, maîtresse T1 par Mirabelle