Le 4 octobre 1669 meurt à Amsterdam, Rembrandt Harmenszoon Van Rijn.
Rembrandt à 23 ans
Rembrandt, Autoportrait au gorgerin, v. 1629.
Huile sur toile, 37,7 x 28,9 cm
Mauritshuis Museum,
La Hague, Pays-Bas.
LE SECRET DE REMBRANDT
« Vers les années 1666 à 1669 il devait y avoir à Amsterdam autre chose que les tableaux d’un vieil escroc […] et que la ville. Il y avait ce qui restait d’un personnage réduit à l’extrême, presque complètement disparu, allant du lit au chevalet, du chevalet aux chiottes ― où il devait encore griffonner avec ses ongles sales ― et cela qui restait ne devait guère être autre chose qu’une cruelle bonté, proche, pas loin de l’imbécillité. Une main crevassée qui tenait des pinceaux trempés dans du rouge et du brun, un œil posé sur les objets, rien que ça, mais l’intelligence qui liait l’œil au monde était sans espoir.
Sur son dernier portrait, il se marre doucement. Doucement. Il sait tout ce qu’un peintre peut apprendre. Et d’abord ceci (enfin, peut-être ?) que le peintre est tout entier dans le regard qui va de l’objet à la toile, mais surtout dans le geste de la main qui va de la petite mare de couleur à la toile.
Le peintre est là rassemblé, dans le cheminement tranquille, sûr, de la main. Plus que ça au monde : ce tranquille va-et-vient frissonnant en quoi se sont chargés tous les fastes, les somptuosités, toutes les hantises.
Légalement, il n’a plus rien. Grâce à un jeu d’écritures, tout est entre les mains d’Hendrijke l’Admirable et entre les mains de Titus. Rembrandt ne possèdera plus les toiles qu’il peindra.
Un homme vient de passer tout entier dans son œuvre. Ce qui reste de lui est bon pour la voierie, mais avant, mais juste avant, il doit encore peindre le Retour de l’enfant prodigue.
Il meurt avant d’avoir eu la tentation de faire le pitre. »
Jean Genet, « Le Secret de Rembrandt », Œuvres complètes, tome V, Éditions Gallimard, in Pascal Bonafoux, Rembrandt, Le clair, l’obscur, Gallimard, Collection Découvertes, page 155.
Rembrandt à 63 ans
Rembrandt, Autoportrait, 1669
(l'année de la mort du peintre)
Huile sur toile, 86 × 70,5 cm
The National Gallery, Londres
UN PORTRAIT À LA REMBRANDT
Le jeune avoué demeura pendant un moment stupéfait en entrevoyant dans le clair-obscur le singulier client qui l’attendait. Le Colonel Chabert était aussi parfaitement immobile que peut l’être une figure en cire de ce cabinet de Curtius où Godeschal avait voulu mener ses camarades. Cette immobilité n’aurait peut-être pas été un sujet d’étonnement, si elle n’eût complété le spectacle surnaturel que présentait l’ensemble du personnage. Le vieux soldat était sec et maigre. Son front, volontairement caché sous les cheveux de sa perruque lisse, lui donnait quelque chose de mystérieux. Ses yeux paraissaient couverts d’une taie transparente : vous eussiez dit de la nacre sale dont les reflets bleuâtres chatoyaient à la lueur des bougies. Le visage pâle, livide et en lame de couteau, s’il est permis d’emprunter cette expression vulgaire, semblait mort. Le cou était serré par une mauvaise cravate de soie noire. L’ombre cachait si bien le corps à partir de la ligne brune que décrivait ce haillon, qu’un homme d’imagination aurait pu prendre cette vieille tête pour quelque silhouette due au hasard, ou pour un portrait de Rembrandt, sans cadre. Les bords du chapeau qui couvrait le front du vieillard projetaient un sillon noir sur le haut du visage. Cet effet bizarre, quoique naturel, faisait ressortir, par la brusquerie du contraste, les rides blanches, les sinuosités froides, le sentiment décoloré de cette physionomie cadavéreuse. Enfin l’absence de tout mouvement dans le corps, de toute chaleur dans le regard, s’accordait avec une certaine expression de démence triste, avec les dégradants symptômes par lesquels se caractérise l’idiotisme, pour faire de cette figure je ne sais quoi de funeste qu’aucune parole humaine ne pourrait exprimer.
Balzac, Le Colonel Chabert [1832], Éditions Gallimard, Collection folio classique, 1999, pp. 60-61.
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