On ne change pas le monde

Les idées naissent tôt dans la vie. J’avais quinze ans, quelques années après mai 1968, et je voyais déjà qu’il était vain de vouloir “changer le monde”, comme il était la mode de le dire.

“Pourquoi imaginer, se disputer et faire assaut de langage pour quelques idées qui ont un gros défaut : celui d’être trop idéales ?” Ainsi écrivais-je dans mon journal.

“Cherchons des idées pour un mode de vie le meilleur possible, mais dans notre société actuelle. Résolvons tout d’abord les problèmes immédiats, cherchons à vivre le mieux possible et à améliorer le sort du monde par notre exemple, mais dans l’immédiat des idées applicables de suite.”

Je n’ai pas changé d’avis.

Toute l’expérience vécue depuis m’a démontrée que ceux qui regardent très loin sont ceux qui se moquent du monde. Ceux qui méprisent le monde ici et maintenant, et qui ne veulent ps voir leur prochain. Ils préfèrent l’ailleurs, l’au-delà ou l’avenir radieux, l’homme lointain - pas celui avec qui ils peuvent discuter et qui aura démocratiquement des objections.

La “dégueulasserie” du monde, terme très en vogue dans les années 1970, serait-elle une excuse pour ne pas se retrousser les manches ?

Comme il est facile de se confier corps et âme au parti d’utopie, toute bonne conscience dehors, pour se dédouaner à bon compte si la réalité présente ne réalise pas l’idée !

Comme il est plaisant de se griser de grands mots plutôt que de faire ce qu’il faut, à hauteur d’homme, avec l’humilité nécessaire aux causes humaines !

Non, on ne change pas le monde, même quand on s’appelle Staline ou Hitler; on n’y laisse qu’un souvenir qu’une génération ou deux suffit à effacer. Mais on peut se changer soi-même. Donner l’exemple, faire envie, transmettre le goût de vivre.

 Hélas ! cela, n’est-ce pas, c’est du concret : bien plus dur à réaliser que les paroles qui ronflent et qui s’envolent dans le ciel des idées…