15 mai 2006

Publié le 02 janvier 2008 par Ali Devine
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En classant des notes, je viens de retrouver ce compte-rendu d'une journée de naguère. Pour clarifier le début du texte, je précise que l'IDD est un itinéraire de découverte, c'est à dire (pour faire simple) une matière optionnelle proposée par un professeur en fonction de ses compétences, de ses centres d'intérêts et de l'attente supposée des élèves et de leurs parents. Dans le cas qui nous intéresse, il s'agissait de cours d'histoire de l'art dispensés à raison d'une heure par semaine par un professeur d'arts plastiques et un professeur d'histoire enseignant ensemble.
A mon arrivée au collège, j'ai été commis d'office dans ce dispositif, malgré le profond scepticisme qu'il m'inspirait. Mes réserves ont vite disparu et j'ai beaucoup aimé ce cours. Catherine, la prof d'arts plastiques, est une de mes collègues préférées, et le fait d'être ensemble dans la salle de classe nous permettait de faire un bien meilleur travail. L'aspect élitiste de cet enseignement attirait des élèves motivés et curieux ; et il y avait quelque chose de beau dans le fait de parler de perspective atmosphérique et de palette baroque à des élèves de ZEP, à les emmener au Louvre voir Poussin, Rubens et David.
Au final, le résultat de nos efforts était bien incertain ; il ne fait aucun doute que certains de nos élèves n'ont rien appris, que les tableaux et les sculptures que nous leur avons montrés pendant un an leur ont juste paru, un peu bizarres ; mais j'ai été fier et ému quand j'ai vu, au musée, un groupe d'élèves habituellement ingérables s'arrêter devant une scène mythologique et en parler entre elles à voix basse.
Malheureusement, l'IDD a fini par disparaître (du moins au niveau quatrième). Elle n'avait pu exister qu'en grappillant du temps aux enseignements fondamentaux, et il a fallu rendre ces heures précieuses. Par ailleurs, la bonne réputation des classes qui avaient choisi cette option a fini par avoir un effet pervers : la direction y plaçait en effet d'autorité les cancres les plus récalcitrants, en faisant le pari que, placés au milieu de camarades calmes et studieux, ils finiraient par s'imprégner de cette ambiance. Le pari se soldait bien évidemment à tous les coups par un échec total et transformait par-dessus le marché notre petit groupe d'élèves dynamiques et polis en un ensemble à
l'hétérogénéité absurde, où il fallait enseigner à la fois à des prix d'excellence et à des ânes bâtés qui, en plus, brayaient fort.
Et par un glissement bureaucratique dont je n'ai pas compris le mécanisme précis, nous avons fini par nous retrouver devant une classe qui était presque entièrement constituée de cancres (alors qu'à l'inverse, ceux qui s'étaient portés volontaires pour suivre ce cours en étaient complètement évincés). Aussi n'avons-nous pas trop protesté quand on nous a annoncé que l'IDD allait disparaître ; nous avons plutôt poussé un soupir où il y avait autant de soulagement que de résignation. C'est vraiment dommage car Catherine avait investi un travail et une foi immenses dans ce projet. Éternel problème de la gestion des mauvais sujets, qui nous empêche de donner aux bons ce qu'ils méritent.
Bref ! Le rideau se lève sur la journée du 15 mai 2006.

 
Premier lundi travaillé depuis plus d'un mois.

8 heures. IDD dans la salle de Catherine. Les 4° I doivent préparer des exposés sur des tableaux célèbres ; des groupes ont été constitués pour les Ménines, la Leçon d'anatomie, le Tres de mayo, la Liberté guidant le peuple, la Laitière et les Ambassadeurs. La classe est pour l'heure scindée en deux. La moitié des élèves partent avec ma collègue faire des recherches au CDI, tandis que les autres restent avec moi et essaient de décrire les oeuvres -ce qui n'est pas une mince affaire vue la pauvreté de leur vocabulaire usuel.
Nour Ben Amar a mené une recherche personnelle, Djeneba et Tariq parviennent -contre toute attente- à travailler ensemble ; mais il me reste deux boulets, Mustafa et Eddy. Le premier se borne à une inaction absolue, assortie de quelques ricanements. Le second laisse déborder de toutes parts, comme d'une casserole réchauffée par le printemps, son immense fatuité et ses talents de saboteur. Son voisin Bilal, qui est son antithèse (un garçon sérieux, intelligent et terne) en arrive rapidement à un tel état d'exaspération que je vois arriver le moment où il frappera le petit con. Pour prévenir un pareil incident, je mets l'Eddy à la porte. Quelques secondes plus tard, je le vois par la fenêtre courir à grandes enjambées dans l'escalier extérieur. Il n'a pas son carnet de liaison, ni d'ailleurs aucune espèce de matériel ; il est d'ores et déjà collé jusqu'à la fin de l'année ; il va déménager l'an prochain et ne semble pas avoir compris que son dossier scolaire le suivra jusqu'à Tombouctou ; il est ballotté de tuteur en famille d'accueil, et on ne sait jamais trop à qui s'adresser pour discuter de son cas. Il est difficile de le punir, d'autant qu'il voit manifestement sa scolarité elle-même comme une punition insurpassable. En mon âme et conscience, je dois avouer que je souhaite qu'il aille un pas trop loin et se fasse battre un jour par des collègues exaspérés. Peut-être l'insolence désinvolte de ce garçon est-elle le comportement d'un adolescent à l'histoire familiale malheureuse. Mais il dissuade toute compassion, et je me réserve pour d'autres.

Nour spécule sur "le but du regard" dans le tableau de Delacroix, Djeneba et Tariq se chamaillent sur la description d'un quignon de pain posé sur la table de la Laitière ; l'ambiance est plutôt studieuse quand Bruno Dellacqua, prof de SVT, fait irruption parmi nous. Vendredi dernier, les élèves de 4° I ont eu cours dans sa classe ; certains se sont amusés à prélever les touches des claviers d'ordinateur pour s'en faire de petits projectiles ; mon collègue est venu exiger que le coupable se dénonce ou soit dénoncé. Naturellement, personne ne dit rien. Dellacqua ressort bredouille mais en proférant des menaces, et les travaux reprennent.
Mustafa m'interpelle : "Eh, monsieur, moi je sais qui c'est qu'a fait ça." Je l'encourage à parler. Il grommelle que ça se fait pas, mais, quelques heures plus tard, flanqué de deux camarades, il ira dénoncer Tasa Aït Ahmed.
(Ah, Tasa ! Gros poisson berbère nageant langoureusement vers l'obésité, molle et sotte. Nous nous croisons à la fin de la journée, je lui dis à haute voix "bonsoir, Tasa", elle croise mon regard, me frôle, et passe son chemin sans m'avoir rendu un mot. En tirant sur le bâton de sa sucette. Chère Tasa. Pas de papa que je connaisse ; une maman qui ne peut pas s'occuper de sa fille, pour des raisons qui ne m'ont jamais été expliquées ; et une tante désespérée qui essaie de l'éduquer un peu. Jusqu'à récemment, j'envoyais des courriels à cette madame Wafa Tilalli pour lui détailler les méfaits de sa nièce et lui donner la liste des devoirs. Maintenant, j'ai arrêté. Ce n'est pas la peine de se donner tant de mal pour un individu aussi méprisable. Si je connaissais personnellement Wafa Tilalli, je lui suggérerai de plutôt consacrer son temps libre à l'UNICEF.)


9 heures. Je parle de la banlieue avec mes sixième. Je dis que les immeubles de HLM sont souvent occupés par des familles pauvres. Je choque un tiers de mes élèves, qui vivent dans des immeubles de HLM et ne se reconnaissent pas dans cet adjectif. Après négociations, je finis par recourir à "modeste", que j'ai prudemment défini par "pas riche", et qu'un élève a retraduit en "normal".


10 heures. 4° F. Classe habituellement pénible. Quelques élèves craignent le verdict du dernier conseil de classe et font preuve d'un sérieux étonnant ; ils me regardent fixement tandis que je parle, comme s'ils espéraient que je leur dévoile, par une mimique particulièrement expressive, le sens d'une leçon que le langage ne suffit pas à expliquer. Certains font même mine de s'intéresser au cours, répondent aux questions que je pose. "Quelqu'un peut me dire ce qu'est une PME ? -C'est le truc avec les chevaux, là", dit Zaki, sans avoir demandé la parole.

Durant ce même cours, une dispute éclate entre David et Khady. Ils finissent par me prier d'arbitrer leur litige : "Msieur, les Comores, c'est en Afrique ou quoi ?" Oui, plutôt, enfin c'est un archipel au large de l'Afrique. "Tu vois !" se lancent mutuellement les deux polémistes, qui manifestement interprètent ma réponse dans des sens opposés. Et si nous en revenions au sujet du jour, à savoir les difficultés du Mezzogiorno italien ? suggéré-je modestement. Ne tenant aucun compte de mon rappel à l'ordre, la Sénégalaise Khady place la polémique sur un autre plan : "De toute façon, aux Comores, c'est tous des descendants d'esclaves, alors. -QUOI !" hurle le Mahorais David. Je parviens à ramener un semblant de calme en menaçant de les virer. A posteriori, je me rends compte qu'ils étaient pourtant, à leur manière, en train de faire de l'histoire-géographie.
Plus tard, j'apprendrai que leur controverse s'est terminée par un échange de coups. David a été exclu du collège pour quelques jours, au soulagement de tous ; Khady, malgré ses provocations verbales, a bénéficié de l'indulgence de l'administration, et promène dans tout le collège ses tresses fraîchement teintées de blond-or massif.


Cantine. C'est la "semaine européenne" et le menu est censé en tenir compte, mais je ne parviens pas du tout à deviner à quel pays peut bien se référer le contenu de mon assiette ; peut-être est-ce de l'eurofood, libre de toute affiliation nationale porteuse de chauvinisme et de haine de l'autre. Sujets des conversations de cantine, par ordre de fréquence :
1) anecdotes sur les élèves les plus difficiles, racontées en riant et en les imitant -on se défoule ;
2) programmes télévisés, et plus particulièrement séries américaines (Desperate housewives...) ;
3) vie personnelle (bébés pour les vieux schnocks dans mon genre, sortie du samedi soir pour les moins de trente ans) ;
4) pédagogie (les profs d'anglais constituant une sorte de secte où les méthodes accaparent 3/4 du temps de parole) ;
5) politique, actualité internationale, Sarkozy, etc, mais sans se prendre la tête outre mesure ;
6) divers (dont livres).

Comme je sors de la cantine, je suis abordé par le jardinier. Il sort de sa salopette un objet enveloppé dans un sac plastique vert. "C'est un livre sur le miel", explique-t-il. Je crois que je suis l'un des rares profs à discuter avec lui de temps à autre ; le dernier jour, il m'a raconté qu'il y avait des ruches dans les combles de la mairie de Saint-Denis, et que les abeilles faisaient du bon miel avec les fleurs de la banlieue nord. Il semble que j'aie alors feint l'intérêt de façon crédible, et voilà le résultat de ma gentillesse. Il existe un très grand nombre de miels, que l'on distingue en monofloraux et polyfloraux. Parmi les variétés rares, on peut citer les miels de luzerne, de sainfoin, de serpolet et de trèfle. Ces variétés à base de plantes fourragères sont appréciées des vaches au palais délicat. Bien.


Café. Catherine donne libre cours à sa vocation de bon samaritain en nous invitant à soutenir psychologiquement la pauvre Bethsabée. Prof d'espagnol, Bethsabée Moutechaud a tout contre elle : elle enseigne une langue étrangère à des élèves qui ont déjà beaucoup de difficultés avec le français ; 4 élèves sur 5 laisseront tomber cette encombrante LV2 dès qu'ils en auront l'occasion, et ne voient donc pas pourquoi ils s'y investiraient à présent. Nouvelle dans l'établissement et dans la profession, Bethsabée constituait dès le début une cible idéale pour les chahuteurs -d'autant qu'elle avait hérité de méchantes classes. Ses rapports avec l'administration se sont rapidement dégradés pour cette raison même et elle a très tôt eu le sentiment de ne plus être soutenue dans ses conflits fréquents avec les élèves. Elle a, comme moi mais à un degré plus aigu, le sentiment que ses élèves continuent leurs activités diverses durant nos cours comme si nous n'étions pas là, ou presque. Un jour, on lui a jeté une boulette ; quelques semaines plus tard, un puni mécontent lui balançait un cahier en pleine figure.
Peu avant les vacances de Pâques Bethsabée quittait le collège au beau milieu d'un cours ; à la rentrée, elle restait deux semaines absente. Elle est revenue apparemment rétablie et inchangée, elle donne très correctement le change ; elle est simplement un peu plus en retrait, et elle a annoncé qu'elle allait abandonner un métier que, pourtant, elle adore. -Quant aux élèves qui l'ont persécutée, on a appris par des bruits de couloir qu'ils se vantent d'avoir fait craquer "l'autre folle" et qu'ils se cherchent une nouvelle victime, histoire de terminer l'année en beauté.
Plusieurs collègues ont jeté l'éponge depuis septembre ; c'était des personnes avec qui je ne m'étais pas lié et qui, de toute façon, s'étaient fait peu d'amis au sein de l'établissement, parce qu'elles s'y sentaient malheureuses. On ne les a pas vu partir. On a juste constaté, un jour, l'arrivée de leur remplaçant. Ce jeu de substitution continuel pourrait servir de base à un bon récit de science-fiction.

M. Behrami, prof de maths avec qui j'ai deux classes en commun, me tient la jambe : et untel a fait ceci, et unetelle a fait cela. A la question "comment appelle-t-on le grand côté d'un triangle rectangle ?", David (de 4° F, voir ci-dessus) a répondu "l'anus." En 6° G, Djeison a traité Ammouche de M. Devine -mon nom de famille tenant apparemment lieu d'insulte.
M. Behrami, habituellement vêtu d'horribles loques, porte depuis la rentrée des vacances de Pâques une veste, une chemise framboise et un pantalon de toile. Mais ce sont les mêmes depuis deux semaines et un observateur attentif pourrait retracer la chronologie des traces de craie et des reliefs alimentaires de ce personnage brouillon. Ses dents sont pourries.



13 heures 30. La leçon sur la banlieue se poursuit avec ma classe de sixième. Nous nous trouvons au deuxième étage et les fenêtres de la salle 42 C offrent une vue ample et relativement dégagée sur la banlieue nord. J'invite les élèves à quitter leurs places pour observer avec moi les grands ensembles, les quartiers pavillonnaires, mais aussi les toits de l'Université Paris-VIII, la tour de la basilique de Saint-Denis, et dans la brume au loin, les pylônes du Stade de France (et tout là-bas là-bas en se tordant le cou et en faisant un petit effort d'imagination, le Sacré-Coeur, hideuse meringue demeurée fidèle plus d'un siècle après son édification à sa mission de narguer le peuple). Mon objectif psychopédagogique est de leur montrer que les banlieues ne sont pas uniquement des réserves de pauvres et ainsi, de me rattraper de la maladresse commise dans la matinée. Un exposé pourtant enthousiasmant doit bientôt s'interrompre : accoudés à la fenêtre, Cem, Djeison et Patrice font un concours de crachats sur le jardinier qui, deux étages plus bas, tond la pelouse.

Encore deux heures de cours, à 14 h 30 puis à 16 h 30, avec ma classe de cinquième (absurdité que cet emploi du temps où une heure de pause s'intercale au milieu d'une séquence de deux heures). Quatre élèves sont partis en voyage à Rome avec la prof de latin, Mme Bourmaud ; ceux qui sont restés n'ont manifestement plus la tête au travail, si tant est qu'il l'ait jamais eue.
Dans le couloir, je m'aperçois que Johnny Macas est d'humeur folâtre. Il est tout rouge, donne des bourrades à ses camarades, et répond "ouais ouais" quand je lui demande de se calmer. Johnny est un étrange garçon, que sa physionomie semble prédestiner à l'honorable carrière de boucher-charcutier. Mais sa vocation très précise est d'être dessinateur dans les services du Génie militaire. Il n'y a, à ma connaissance, pas de papa ; la maman est débordée ou démissionnaire ; c'est donc le papy qui s'occupe, pour l'essentiel, de l'éducation de Johnny. Or ce papy semble nourrir une passion dévorante pour l'histoire de la seconde guerre mondiale en général, et pour le troisième Reich en particulier. Bien entendu, le vieux facho a refilé le virus à son petit-fils (de façon plus générale, d'ailleurs, le grand-père semble avoir complètement façonné l'esprit de Johnny, qui parle avec une gouaille popu totalement absente du sabir banlieusard pratiqué par ses camarades et manie des références des années 70-80 -une époque où il n'était même pas né. Le garçon me fait parfois l'effet effrayant d'être une réincarnation, un reloading).
Toute la culture personnelle du jeune Macas tourne donc autour du nazisme dont, à treize ans, il a une connaissance encyclopédique. Il n'écoute pas mes leçons mais dessine, et ne fait aucune difficulté pour montrer ses oeuvres : des armes, des décorations, des uniformes allemands. Une fois, en plein cours, il lui est arrivé de me défier ; sur certains sujets en effet, il était certain d'en connaître plus long que moi : savais-je, par exemple, ce qu'étaient les Schutzstaffel ? Durant les débats d'éducation civique, Johnny récite avec conviction, voire véhémence, les opinions d'un militant FN - ce qui détonne parfois un peu dans une classe où seize élèves sur vingt-trois sont "issus de l'immigration".
Mais le jeune extrémiste est aussi un adolescent remuant, au tempérament emporté. Certains élèves admettent mon autorité, d'autres la rejettent en bloc ou ne s'y soumettent que par crainte des sanctions ; Jérémy, lui, alterne de façon schizophrénique des manifestations de soumission ostentatoire et des insolences violentes. -Ce 15 mai, donc, il entre dans la salle de classe, bouscule, insulte, vanne, fait tout un scandale parce qu'il lui manque une chaise, envoie des doigts d'honneur à droite et à gauche ; il ne s'aperçoit même plus que c'est moi qui lui crie d'aller s'asseoir et me répond carrément "Mes fesses". Je l'exclus de mon cours avant même de l'avoir commencé. Il sort sans un mot, soudain calmé, le regard sombre. Je ne sais pas à quoi il pense à cet instant. Peut-être au Troisième Reich.


A la fin de ce premier cours, Aïcha et Arzu veulent me parler en particulier. "Monsieur", dit Aïcha, "j'ai une cousine elle est tout comme Defne : mêmes résultats, mêmes problèmes, même tout. D'après vous, est-ce qu'elle va redoubler ?" Ah ah, j'avais bien remarqué que Defne faisait la gueule ces derniers temps. Defne est une jeune turque qui, à treize ans, ne comprend pas le français écrit. Elle a dû arriver trop tard dans notre pays ; chez elle, on ne parle que le turc (ou le kurde) ; par ailleurs, elle est franchement limitée. J'explique à Aïcha que je ne peux rien lui dire en ce qui concerne sa cousine, mais que pour ce qui est de Defne, je me prononcerai en faveur de son passage en quatrième : de toute évidence, elle n'en a pas le niveau, mais un redoublement ne servirait à rien. Autant faire place nette, hop. Aïcha repart perplexe.
A la fin du second cours, je retiens Defne. "Qu'est-ce qui se passe en ce moment, jeune fille ? D'habitude tu es toute gaie, tu passes ton temps à bavarder, et là tu tires une gueule pas possible. J'ai fait quelque chose qui t'a déplu ? Tu t'inquiètes pour ton avenir ?" Les yeux de Defne se remplissent instantanément de larmes. "Non, c'est à cause de mon grand-père. Il va mourir." Je me sens très bête. Je la libère en lui souhaitant bon courage.