La Rentrée

Un mois. Cela fait à peu près un mois que nous sommes de retour de vacances.
Un peu plus pour ceux qu’on a expressément invités à partir début août pour ne pas continuer de leur verser leurs misérables salaires alors qu’ils en font encore moins que d’habitude ou un peu moins pour les plus privilégiés qui ont alors pu partir après la foule collante des moyens qui s’entassent du lundi ou vendredi et parfois même le week-end dans les wagons moites de la ligne 9, mais qui ont sans doute découvert des lieux de vacances usés par les aller-retours successifs des touristes à appareil photo et short trop long, comme un appartement dont le sol fraichement astiqué à l’eau de javel bon marché ne peut totalement faire oublier la soirée de la veille.
Il faut donc se rendre à l’évidence, c’est la rentrée. Au bout d’un mois, ce n’est plus un mauvais rêve ou une plaisanterie ratée qui aurait un peu trop duré, c’est bien reparti pour un tour. Pas de réduction pour les gros, les femmes, les enfants ou les chameaux: il faut reprendre et reproduire avec application ce qu’on n’a pas eu le temps d’oublier complètement en deux voire (la classe!) trois semaines. Mais rassurons-nous, comme avec les choses gagnées d’avance, nous recommencerons tous les ans, parfois plus tôt parfois plus tard, mais nous recommencerons. La rentrée agit ainsi à l’inverse du caroussel de Kodak avec lequel Don Drapper fait si bien défiler ses photos de vacances ou de week-end : « It goes backwards, forwards. Takes us to a place where we ache to go again. [...] It lets us travel the way a child travels. Around and around and back home again to a place where we know we are loved. » Et puisqu’il faudra recommencer, peu importe que cela doive être fait 40 ou 41 fois, comme si l’autopsie livrerait un verdict différent selon qu’on ait reçu 40 ou 41 coups de couteau… Les imbéciles !
Pourtant bien des choses sont affaire de précision et la différence entre deux personnes ou objets – même parfaitement opposés – se fait souvent à un détail près. Le quotidien ou encore mieux le style – dont les Camels ont fait leur ligne de conduite avec plus ou moins de succès selon les cas – dépend de quelques éléments à peine perceptibles pour le non initié, l’ « outsider » comme disent les sociologues ou pire les journalistes sportifs. De la même façon, le drame de la rentrée ne tient qu’à un élément, à une lettre plus exactement, sa lettre « r » initiale.
Si l’on appelait plus simplement l’ « entrée » cette période tant redoutée depuis qu’on a l’âge d’aller à l’école, tout irait beaucoup mieux. L’ « entrée », terme nettement moins pompeux, suggère une sorte d’inconnu quand la « rentrée » annonce la répétition laborieuse du même mauvais roman déjà trop lu au point qu’on pourrait en réciter presque par cœur les premières pages. Par exemple, on entre dans les meilleurs clubs, on peut même entrer en contact avec des jeunes filles à condition bien sûr de leur offrir rapidement un verre mais tôt ou tard on rentre à la maison. L’entrée des classes serait une sorte de défilé symétrique et solennel d’élèves soigneusement sélectionnés et parfaitement coiffés alors qu’on se rappelle tous de la rentrée des classes comme un rassemblement approximatif d’adolescents ingrats qui sentent le vieux sac de sport et parlent nettement trop fort.
Devant tant d’horreur, les Bad Camels ont refusé par principe toute publication d’articles en septembre. Mais en hommes de réseaux, ils ont finalement ressorti leurs épais carnets d’adresses en peau de veau tannée au chrome et papier dont la main n’excède pas 1,1 pour que leurs amis de l’Académie française suppriment enfin ce « r » stupide, répugnant et qui nous rappelle funestement que le mois de septembre revient tous les ans. En attendant des jours meilleurs, les Camels, adeptes de la fuite avant, se consolent en organisant leurs prochaines vacances sur les collines vertes et fraiches du mont Fuji. Ou alors en profitant des souvenirs qu’ils ont a rapportés voire ramenés dans leurs bagages.