Désormais nombre d’hommes pensent
Ô grands dieux, que nous arrive-t-il ?
L’homme philosophe
Tous aux abris !
Voici un déluge de mots savants
Réservés à l’élite
Mais totalement abscons.
Adieu Platon
La petite caverne des élus
Règne sur le monde des esprits éclairés
Dans des souterrains de savoir,
La masse est si méprisable.
L’homme laisse sa marque dans l’histoire
Regardez tous ces bâtiments
Construits en honneur de tant de gloires
De tant de boucheries
De tant de perversions
C’est beau
L’homme crée
Ô merveille !
Il a pondu un œuf
Il le couve jalousement
Il le protège
Ce qui le menace n’a qu’à crever,
Il le défend.
L’homme est curieux, il est intelligent
Il a découvert la radioactivité
Il est le plus grand
Il est le plus fort
Il est à l’image de Dieu
Il laisse désormais une trace indélébile sur la terre
Pire que chiures de pigeons sur ses beaux bâtiments
De quoi détruire le monde
C’est pas fort ça ?
L’homme est puissant !
Et puis l’homme a l’esprit ouvert
Monsieur et Madame Michu
S’expriment enfin journellement à la radio et à la télévision
Ils donnent leur avis sur le monde
C’est carré, spontané, sans appel
C’est important tout de même d’écouter leurs voix.
L’homme peut aussi, être instruit
Une pensée complexe s’installe alors dans ses livres
Infiltre ses salons
Une poignée d’intellectuels au langage savant
Pénètre cette enceinte jalousement gardée
On y pérore, on y discute, on y brille
On s’y fait plaisir
On y étale sa culture
On y parle de tradition en faisant honneur au bon vin
On a compris et c’est merveille.
Mais il arrive que parfois, à la télévision,
Après que Madame Michu
Se soit exprimée sur ces « saloperies de pigeons »
Et que Monsieur Michu ait exprimé sa colère par un
« Casse-toi, pov’con ! » teinté de rage
Il arrive donc qu’il y ait un miracle.
Oui, un miracle !
Une ode à la simplicité.
Fait rare qui mérite d’être relaté.
J’ai ainsi découvert un jour,
À la télévision
Quelqu’un que j’ai reconnu comme « un maître »
Oui, un sage ! Un philosophe.
Pas de grands discours
Pas de décorticage savant
Pas de colère
Pas fulmination
Pas de fatuité
Non !
Juste un sourire, un éclat
Une sérénité
Ce maître était une petite mamie
Toute simple, adorable
Avec ses mots de tous les jours
Compréhensibles par tous
Avec un regard de soleil
Qui en rayonnant vous rendait meilleur.
Elle répondait au reporter,
Touché par sa pureté sans doute,
À une question sur la valeur de sa vie, loin de la ville
Loin du progrès
Et elle disait :
« Avec mes chèvres, je suis heureuse
J’ai du plaisir à les regarder manger
À les accompagner dans la montagne
Elles m’apprennent tant de chose !
À découvrir chaque matin le lever du soleil
À profiter simplement des saisons, de la nature
Je fais mon fromage, je cultive mon jardin,
Je vis au rythme du vent, de la pluie, de la neige,
Je profite du soleil
Je n’ai besoin de rien de plus !
J’aime cette vie, elle me suffit, je la comprends
Je m’y sens à ma place. »
Je traduis bien mal sa spiritualité
Je la trahis un peu je crois,
Mes mots, en s’insurgeant contre la bêtise, m’en éloignent.
Ils sont trop empreints de colère encore.
Le détachement n’est pas toujours au rendez-vous.
Aurais-je besoin d’un troupeau de chèvres
Pour pénétrer les arcanes de cette sagesse ?
Ne garderais-je que la forme, en occultant le fond ?
Aucune forme ne m’a jamais satisfaite
L’instant qui passe me le rappelle sans cesse.
J’ai fui tous les troupeaux rassurés par des rails.
Mais ces paroles, ce visage, m’accompagnent,
Me précèdent, je tente de les suivre
Comme on suit la voix du vent
D’en respirer la vibration
D’en acquérir le respect pour tout ce qui vit,
Pour tout ce qui vibre,
Et à qui je reconnais autant de légitimité que moi
À profiter de la Terre
Je suis consciente aussi de n’en avoir pas totalement saisi l’essence
Pour me dire : « je me sens à ma place ».
©Adamante