Magazine Journal intime
La Révolte Du Va-Nu-Pieds.
Publié le 02 janvier 2008 par Mélina Loupia
Hier encore, j'avais 30 ans.
On approche d'ailleurs à grands pas de cette date anniversaire.
Une soirée inoubliable, comme on en connaît toutes et tous en franchissant le cap de la dizaine de printemps supplémentaire.
Pour ma part, la sauterie se passe en hiver, chaque année, à la même date, soit, dans pas longtemps de ce soir.
Le soir de mes 30 ans n'a pas dérogé à la règle immuable du temps qui passe et je m'en fous.
La veille, Copilote, qui vendrait des palmes aux otaries géantes, m'avait endormie à coups de paquets cadeaux et de promesse d'une soirée en amoureux dans le restaurant de mon choix le lendemain
soir, " ta mère est déjà au courant, elle nous prend les petits et que même si on veut on a le droit de pas rentrer dormir".
Pendant que j'essayais cette petite robe chasuble dont il sait que je raffole des formes trapézoïdales, j'imaginais déjà le déroulement de la soirée à venir, les yeux dans les yeux, avec le crabe
farci pour témoin, et surtout le fantasme de réussir cette position amoureuse si difficile pour mon cerveau de dyslexique : boire dans la coupe de champagne de l'autre en croisant habilement les
coudes.
Le lendemain soir, à l'approche du retour tant attendu de Copilote, j'achevais de me ravaler la façade alors qu'Agrippine a dressé l'oreille et tortillé du cul jusqu'à la porte d'entrée. Signal
d'alarme, il venait d'arriver.
Je me poste négligemment au salon, avec Le livre des prénoms ouvert à l'envers, et, la main sur le menton, je prends l'air pensif et interrogatif sur ma lecture.
"Coucou!, t'es déjà prête?
-Bah oui, si t'as réservé pour 20h et qu'il est 19h, le temps que tu te maquilles et enfiles tes bas, ce sera bien temps de partir.
-Oh je viens de rentrer, on a bien 5 minutes pour boire un petit coup non?
-Mais tu vas conduire!
-Oh allez... De toutes façon, j'ai dit au restau qu'on arriverait entre 20 et 21, ça va, allez, un petit anis...
-Mais pour une fois que j'ai mis du gloss, c'est pas pour qu'il reste sur le verre.
-Mais qui t'a dit que t'allais boire toi? JE PLAISANTE."
Un peu surprise de tant de nonchalance face à l'évènement duquel il était pourtant à l'origine et si enthousiaste la veille, je m'exécute dans mes fonctions de barmaid cependant qu'au dehors,
j'entends une portière de voiture claquer.
Puis deux.
Puis 6.
"Ptain, tu vas ouvrir, qui que ce soit, on est pas là.
-Mais vas-y toi, tu leur dis, et profite pour descendre les petits chez ta mère, elle les attend.
-Oké, me semblait que c'était mon anniversaire et que c'était moi la reine de la soirée, mais bon, à tes ordres."
Au moment où, mon trio emmitouflé jusqu'à l'asphyxie, j'ouvre la porte, pour livrer mes 3 petits paquets à leur grand-mère, je rencontre un barrage.
Derrière Cariolette, pas moins de 6 de ses congénères lui reluquaient l'arrière-train.
Silencieuses, je devine à la buée sur les vitres qu'elles sont pourtant habitées.
Mais la pénombre était telle que je ne pouvais pas distinguer les voitures de tous mes collègues de taf d'alors ou encore amis de longue ou courte date.
Au total, sans les enfants, le petit tête à tête idéalisé est rapidement devenu une gigantesque foire aux copains qui sortent tous les uns après les autres de leurs voitures, sorte de
chorégraphie visiblement préparée et minutée, jamais deux à la fois, je soupçonne Copilote de donner le " top" à chacun par téléphone, caché dans les toilettes.
J'ai beaucoup pleuré sur le pas de ma porte, alors que les enfants marmonnaient dans leurs écharpes ou à travers les cagoules qu'ils aimeraient bien savoir quand ils vont dégager de là.
"Vous étiez au courant?
-Bé oui maman.
-Bon, vous voulez rester avec nous?
-Ah non, justement, on pensait que tu nous autoriserais à y aller, elle nous a fait des nouilles.
-Ok, papa va vous descendre alors, rentrez."
J'ai fait également rentrer les 20 complices de la farce dont j'étais la dinde maquillée.
La fête a été au delà de mes espérances.
Je crois n'avoir jamais reçu autant de cadeaux utiles de toute ma vie en si peu de temps.
Il me semble n'avoir jamais pleuré de joie aussi longtemps dans une soirée.
Je me rappelle surtout n'avoir rien su, rien vu ni rien entendu de ce qui s'était fomenté dans mon dos les 15 jours précédant ce soir là.
Ils avaient tout prévu, jusqu’aux couverts, chaises et verres supplémentaires.
Le menu était digne d'un réveillon.
Y compris la séance karaoké, suivie de danses endiablées, chenille comprise.
J'ai donc été largement privilégiée.
Tout avait été fait selon mes goûts.
Même le choix des invités.
Sauf l'un d'entre eux.
Une pour être plus précis.
Je l'avais rencontrée une fois ou deux, à je ne sais plus quelle occasion.
Une bonne dizaine d'années de moins que moi, mariée à un militaire, une petite fille sauvageonne et des goûts vestimentaires, personnels, religieux ou politiques assez opposés aux miens. Même
l'humour, qui aurait pu sauver la mise, ne faisait pas partie intégrante de la personne.
"Ecoute, elle est venue bouffer avec nous le jour où on était en train de tout mettre en place, j'ai pas pu faire autrement que de l'inviter.
-Oué, mais tu vois, primo, elle a fait peur aux enfants, deuzio, elle m'a offert le truc par excellence que je déteste, alors on fait quoi? On la soule et on la met au lit?"
Quoi qu'il en soit, c'était pas la personne en elle-même qui allait poser problème.
C'était plutôt sa voiture, une allemande aux formes tant généreuses que sa cylindrée et sa gourmandise.
Il faut dire que son mari était en campagne Outre-mer et avait confié son bijou astiqué au polish à sa soumise, avec la recommandation expresse de ne l'utiliser qu'en cas d'extrême urgence.
Je doute que mes 30 ans entrent dans cette catégorie.
D'autant plus qu'en ces temps anciens, la maison était cernée par la glaise.
Ceux qui s'étaient déjà embourbés une fois en cherchant la facilité, savaient qu'il y avait un endroit, sur le côté droit de la façade très peu accueillant pour 4 roues.
Elle était arrivée la dernière, grâce à son GPS qui n'avait pas encore recensé l'endroit et avait remarqué le champ libre. Ayant cru qu'on lui avait réservé la place, elle y avait précipité
son châssis rabaissé.
A l'aube, après avoir hydraté plus que de raison les gosiers, les premiers petits joueurs ont décidé de lever le camp.
Elle a été la première à décider qu'il était temps.
Elle fait un moulinet avec son bras pour dire au revoir et la porte claque.
La musique fait à nouveau trembler les murs et les derniers verres font leur apparition.
Quand soudain, elle fait irruption dans le salon, pendant la série des slows qui faisait déjà vomir certains.
"Je me suis embourbée".
Tout son rimmel avait élu domicile sur ses joues rosies par le froid et ses bottes à talons compensés étaient crottées jusqu'aux trois-quarts, tout comme mon hall d'entrée, que tout le monde
avait su respecter en se déchaussant au préalable.
A ce moment-là, je pense que même les enfants ont dû refouler un fou-rire.
Nous nous sommes tous regardés pour déceler le menton qui tremble, la main devant la bouche ou l'indifférence totale liée à l'alcoolémie ambiante.
Finalement, après une énorme crise de larmes, de menaces de mort dont elle se sentait la prochaine victime et du bain de boue à ses pieds, presque tout le sexe fort de l'assemblée s'est proposé
pour dégager les roues de la belle.
A l'exception d'un qui avait fait le choix d'immortaliser les instants de dépannage au moyen de mon appareil photo qu'il ne savait pas manipuler, tous les gars se sont mis pieds-nus, à 5 heures
du mat, par 8 degrés en dessous du seuil positivement acceptable, aérés par une gentille petite bise venue du Nord, par la nuque.
Même le gravier emprunté au chemin de service, les genêts secs et les dernières planches de chantier n'avaient pas eu raison de la gomme et des essieux de l'obèse teutonne.
A présent, tout ce que le troupeau de mâles avinés avait réussi à obtenir, c'est de noyer la tire jusqu'au bas de caisse.
Un peu cul de jatte la bagnole.
Quand enfin, le jour s'est réveillé, nous avons tous constaté qu'il ne servirait à rien de continuer, sauf si nous voulions complètement ensevelir la carcasse sous la glaise, ce qui n'aurait
représenté aucun intérêt, y compris pour les générations futures à la recherches de fossiles du monde moderne d'alors.
"Bon écoute Gothika, on va pas se gratter le dos à la louche, là, on est tous fatigués, pourris, gelés et ronds comme des queues de pelle, sauf moi, mais bon, tu vas dormir ici.
-Tu te chauffes? Je dormirai pas ici, il doit m'appeler dans la matinée. JE VEUX RENTER JE VEUX RENTER JE VEUX RENTRER JE VEU
-Ta gueule, ok, je te ramène, dans la matinée, on va chercher le voisin et son tracteur, on tire ta caisse de là et on te la ramène ok? Tu te calmes là?
-Ok mais on y va tout de suite."
Mon départ a fait des émules en la personne notamment, d'un des collègues de taf de Copilote, dont l'anonymat sera préservé sous le couvert d'un pseudonyme tel que par exemple, La Gambas.
Prétextant que le combat de boue l'avait parfaitement dégrisé, il avait décidé de nous escorter, Gothika, Cariolette et moi.
Ce qu'il a fait, jusqu'à ce qu'un rond-point nous sépare.
J'ai déposé la furie démaquillée chez elle, m'en suis retournée à la maison où déjà, le tracteur du voisin, guidé par Copilote, sauvaient Willy.
En fin de matinée, vers 14h, nous rapatrions tous ensemble la grosse bouse chez sa copropriétaire qui nous attendait, lavée, maquillée et anxieuse.
Elle a fait un état des lieux et a filé au centre de lavage automatique le plus proche.
Elle nous a dit merci par la fenêtre et nous ne l'avons jamais revue.
Même pas les vœux de bonne année.
Cette histoire a refait surface une première fois le lendemain, dans la soirée, au retour de Copilote du taf.
"Au fait La Gambas, tu sais pas quoi?
-Nan, il s'est tapé Gothika?
-Nan, mieux.
-Ah? Il s'est tapé son mari?
-Pff, tu sais, quand vous vous êtes séparés au rond-point.
-Oué.
-Ebé il s'est fait arrêter par les flics.
-Oh ptain, il a dû morfler non?
-Non, il a soufflé, visiblement, ça allait, mais juste ils ont remarqué qu'il était pieds-nus et plein de boue sur les mollets, et ils ont trouvé ça d'autant plus suspect qu'il y avait eu la rave
dans le coin, tu sais, celle qui avait été interdite et foutu le bordel. Il a mis du temps à leur faire admettre sa version des faits.
-Tu m'étonnes et connaissant La Gambas et son sens de la diplomatie, du tact et du respect de l'uniforme, ça a dû chier des bulles carrées au rond-point, tain, j'aurais aimé voir ça.
-T'inquiète, il a dû me la faire15 fois dans la journée, la prochaine fois qu'il vient manger, tu y auras droit."
Effectivement, cette affaire avait marqué La Gambas.
Tant et si bien qu'elle a tout récemment été à l'ordre du jour de la conversation.
La Gambas était présent lors de mon premier salon
du livre.
Alors que je venais d'apposer ma dédicace précieuse et qu'il chaussait ses lunettes pour entamer son Zette &
The City, je suis intervenue.
"Oh là, du calme, on est à l'apéro, t'es pas là pour lire mais pour boire.
-Non, attends, je cherche le texte que t'as fait sur la soirée Gothika.
-Ah, tu peux chercher, personnellement, j'avais choisi de pas l'écrire, pour des raisons que tu sais en partie.
-QUOI? JE SUIS PAS DANS TON LIVRE? TAIN TU PLAISANTES, AVEC L'HISTOIRE, T'AURAIS FAIT UN CARTON.
-Merci. Soit t'as trop bu, soit pas assez."
Comme jamais trois ne vient sans deux, la semaine dernière, suite à la confusion de dates de
réveillon, j'ai appelé Copilote en catastrophe en pleine pause café après le repas.
"Bon, vu que c'est raclette ce soir, il se trouve que j'ai pas tout à fait ce qu'il faut.
-Je sais, on en a parlé ce matin, j'avais prévu le coup, le souci, c'est qu'il semblerait que tout le monde ait merdé dans les dates et là, je suis dans la galerie marchande, il est 13h15, si je
rentre, je serai jamais au taf à l'heure, y a au moins 50 personnes à chaque caisse.
-Y a personne pour t'aider?
-Si, y a bien La Gambas qui me colle aux basques, mais j'ai pas l'impression qu'il ait envie de faire la femme et remplir le chariot tu vois.
-Oué, mais il peut gueuler en caisse et avec ses grandes jambes, il peut courir dans les rayons.
-Je l'aide si tu me fais mon texte sur Gothika.
-T'as entendu?
-Tain il y tient hein. Mais bon, j'ai pas le choix, c'est ça ou on mange des nouilles nature ce soir.
-Alors son texte, tu le lui fais, et vite. A ce soir.
-Et tu me l'envoies par mail hein, tu le mets pas sur ton blog avant hein?
-Promis ma poule. Je dirai pas non plus qui tu es vraiment, que tu es batteur dans un groupe de rock qui a son Myspace, t’inquiète Laurent. »
A l’heure où je m’apprête à dévoiler le menu de l’histoire, je m’attends déjà à la dernière révolte du
va-nu-pieds.