J'entre chez Papa-Outil en coup de vent et une réceptionniste me sourit.
— Bonjour monsieur.
— Bonjour. Où se trouvent les pinces, s'il-vous-plaît ?
— Rayon outillage, tout droit.
— Merci.
Je marche. Je tourne à gauche. J'avise un jeune homme.
— Bonjour, je cherche une pince pour couper des fils de métal.
Il porte un badge qui dit « bonjour, mon nom est Michel, comment puis-je vous servir ? ».
— Quel genre de fil ?
— Des cordes de guitare.
— Ah. Je joue de la guitare moi aussi.
— Très bien.
— Prenez celle-ci.
Je soupèse.
— Elle est trop lourde pour rien. Je bouge surtout à vélo.
— Et celle-là ?
— Oh. Forme intéressante.
— C'est une tenaille et non une pince, mais ça devrait le faire.
— Si ça se trouve, ça risque moins d'égratigner le vernis de la tête.
— Oui. Et elle est bien légère et toute petite.
— Et vraiment, vraiment pas chère.
— Ouais !
Je la prends, je paie, je quitte.
Arrivé à la maison, je pose mes affaires et je gère des tas de trucs chiants à gauche et à droite, des paperasseries, des tracasseries, des fricasseries… Finalement, juste avant de me coucher, je songe à ma tenaille à trois sous. Je prends le paquet. Primo, il est extrêmement facile de l'extraire de l'emballage. Déja, je relaxe. Je me dirige vers la gratte pour lui couper les cheveux. Grâce à la forme de la mâchoire, il m'est possible de trancher la corde au ras de la moulinette, ce qui évite de se trancher la peau ou les vêtements sur les bouts qui dépassent. Clic. Ça marche avec la .26 ! Clic, clic. La .18 et la .11 aussi ! Reste à voir avec les grosses. J'emploie de grosses viandeuses sur les basses, 34, 42, 56. Clic, clic… et clic. Bon sang de bonsoir ! Ceux qui n'ont jamais habité en France ne comprendront pas, mais je me suis mis à pleurer soudainement, une bouffée de larmes impossible à stopper. La Patronne entrait au même moment.
— Eh ben dis-donc. Qu'est-ce qui t'arrive ?
— Patronne… La pince…
— Ben quoi ? Elle est déjà cassée ?
— Non, non. Ça, ç'aurait été normal.
— Ben aah-aaalors ?
— C'est qu'elle fonctionne à merveille, Patronne.
— Oooh.
Je crois bien qu'elle aussi va se mettre à pleurer.
Peut-être qu'on ira lui offrir des fleurs, à ce Michel.© Éric McComber