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(11) La poudre de mummia

Publié le 14 octobre 2010 par Luisagallerini

...de mummia. Le commerce de poudre de momie pour des européens en mal de drogues, prêts à ingurgiter leurs ancêtres comme de vulgaires cannibales, m'avait toujours révulsée. En outre, il ne s'agissait pas là de n'importe quelle dépouille, que l'anonymat rendrait irréelle et priverait d'humanité. Monsieur Losson vouait des corps que j'avais moi-même exhumés à être broyés pour finir en poudre de perlimpinpin. Mes actes, à l'image des siens et de ceux de ses complices, étaient impardonnables.

Je repensai avec amertume aux promesses de Louis, qui m'avait assuré que nos découvertes seraient déposées en lieu sûr, dans les anciens entrepôts de Boulâk

(11) La poudre de mummia

Auguste Mariette a déjà rassemblé les premières collections d'antiquités égyptiennes en attendant l'inauguration du Grand Musée du Caire prévue cet automne. Quels seraient la peine de mon père et le courroux de ma mère en apprenant ces sinistres évènements ! Comme je regrette de n'avoir pas suffisamment écouté les conseils avisés de ma chère mère !

(11) La poudre de mummia

Vendredi 20 février 1863, 1h du matin


En buvant un thé à la menthe, je pensais ainsi calmer mes nerfs, je songeai à la cave et aux trésors que l'on y avait entreposés. Je possédais un double des clefs et l'on pouvait y accéder par une trappe donnant sur le jardin, sans avoir à traverser les appartements de Louis. Mue tant par la curiosité que par la rancœur, je décidai de m'y rendre.

Lorsqu'il passait une soirée avec Monsieur Losson, Louis rentrait toujours ivre mort. J'en déduisis qu'il devait dormir à poings fermés, hypothèse qui fut rapidement confirmée : il n'entendit ni la lampe heurter la trappe, ni la clef dévaler les escaliers de la cave. En tendant l'oreille, je percevais distinctement ses ronflements, ponctués de grognements sourds. Je ne devais laisser aucun indice de mon passage. S'ils apprenaient mon expédition nocturne, ils risquaient de comprendre que j'avais eu vent de leurs malversations. Une phrase me revint à l'esprit : " Et comment allez-vous vous débarrasser d'elle ? ". Même si je refusais encore de croire que cette phrase se rapportait à moi, je ne pouvais ignorer la voix de la prudence qui me conseillait de redoubler de vigilance.

En prenant garde de ne rien toucher, je me frayai un chemin entre les amas d'ustensiles, de chutes de tissu, de bricoles diverses et de caisses qui encombraient la vaste pièce. La lumière que projetait la lampe tournoyait comme un derviche sur les piles d'affaires hétéroclites qui se dressaient dans l'obscurité comme autant de spectres. Je priai le ciel pour que la flamme ne s'éteignît pas, et même si elle s'étrangla à plusieurs reprises, elle se raviva aussitôt. Sous un bureau délabré en épicéa, je repérai l'objet de ma venue : l'urne funéraire qui n'avait cessé de m'intriguer depuis que nous l'avions exhumée de la tombe. Si Monsieur Losson pensait s'en emparer sans que quiconque ne l'eût ouverte, il s'exposait à une cuisante déconvenue. C'était sans compter sur mon caractère obstiné, parfois vindicatif, hérité de ma mère, ni sur ma soif insatiable en matière d'égyptologie.

(11) La poudre de mummia

Lorsque je m'accroupis pour attraper l'urne, je jetai un coup d'œil sur le vieux bureau. Pas un pied n'avait la même taille que ses voisins, le plateau était fendu sur toute la longueur et un tiroir manquait à l'appel. Je ne m'expliquais pas la passion qu'entretenait Louis pour ce meuble, qu'il souhaitait ardemment ramener en France. L'urne pesait si lourd que je la déplaçai difficilement. Quand elle fut dégagée, j'appréciai à nouveau sa forme oblongue et la pureté de ses courbes. J'optai dans un premier temps pour une extraction du bouchon à la main. Je tournai, tirai, secouai, en vain : il ne bougea pas d'un pouce. M'étant munie de plusieurs outils pour la desceller, je sortis un marteau et un burin que je glissai au bord du bouchon. Doucement, j'en frappai le manche pour qu'un filet d'air s'infiltrât dans l'urne, réduisant ainsi l'adhérence, mais je ne réussis qu'à fêler la terre cuite. Désespérée, je m'emparai d'une clef anglaise et dévissai la molette au maximum, saisissant ainsi le bouchon entre les deux mâchoires. Les joues en feu, je tirai de toutes mes forces, sans plus de succès : la pince glissait. J'étais sur le point de déposer les armes, quand, poussant par mégarde sur le bouchon comme pour l'enfoncer, celui-ci esquissa une légère rotation. Je retins une exclamation de surprise. Forte de cette première victoire, je le saisis à pleine main et petit à petit, tantôt tirant, tantôt appuyant, je l'ôtai de sa prison millénaire.

Qu'y a-t-il sous le bouchon récalcitrant? A suivre...

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