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L'enfer d'un mangaka (suite) : L'Homme sans talent

Publié le 14 octobre 2010 par Mackie

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L'Homme sans talent (Munō no hito)
de Yoshiharu Tsuge
(1986  - 2006, Ego Comme X)

Faut-il raconter l'histoire? Ce manga commence par la fin. "Pour finir, je suis devenu marchand de pierres." Marchand de pierres... peut-on imaginer métier plus dérisoire? Difficile de tomber plus bas. Dès la première planche, l'auteur nous met dans une situation tellement absurde et désespérée qu'elle en devient poétique. Sinon comique.
Pourtant il n'y a pas de quoi rire : le héros, si on peut l'appeler ainsi, est un mangaka qui ne dessine pas, dépressif, sans ressources, et qui fait semblant de s'en sortir en imaginant les professions les moins rentables qui soient : marchand de pierres, porteur de gens (?!?), marchand d'appareils photos bricolés. Parfois, il ne concrétise même pas son pauvre projet, mais le laisse à l'état de rêve, renonçant à la première difficulté.

On le suit, pas à pas, de mésaventure en mésaventure, visiter des moins losers que lui, pas tellement pour solliciter leurs conseils foireux, mais plus pour philosopher et justifier ainsi son inactivité. Ce qui le renvoie perpétuellement à sa propre inutilité. Ces passages sont les plus drôles, ou les plus poétiques : une vraie cour des miracles, faite de personnages étranges, à la limite du fantastique, tel cet oiseleur, dont la silhouette fait penser à corbeau prêt à prendre son envol.

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Les différents chapitres qui constituent le recueil de l'Homme Sans Talent ont la même tonalité cafardeuse, et il ne faut pas être soi-même trop morose pour les lire. Car décidément, entre l'Homme Sans Talent, de Yoshiharu Tsuge, et Journal d'une Disparition, de Hideo Azuma, je commence à me demander si mangaka n'est pas un job qui rend dépressif ! En effet, alors qu'il est apparemment un mangaka "auteur" reconnu, il refuse obstinément de dessiner la moindre page, même harcelé par sa femme, même sollicité par des admirateurs qui le retrouvent dans sa misérable cahute. Non, il préfère se forger une sorte de destinée à l'envers, celle d'un loser absolu qui ne laisserait aucune trace en ce monde. Un chef d'oeuvre de vie inutile. La perfection du rien. Et les pierres, qu'il (ne) vend (pas) et qu'il appelle oeuvres d'art, alors même qu'aucun sculpteur n'y a posé la main, symbolisent l'effacement définitif de l'artiste.

Le recueil se referme sur une note apaisée, après un conte peut-être plus noir (mais plus contemplatif, si c'est seulement possible) que les autres : celui du mendiant poète qui se dépouille du moindre bien matériel, et meurt en expirant un dernier haiku, chef d'oeuvre éphémère et microscopique.

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