Obligée, donc, d’aller chez Darty sur le champ. Afin de me procurer un lecteur de disquette externe USB. 40 euros. Bref… Y’avait des poèmes. Parce que je préférais écrire des poèmes que m’exercer à taper 90 mots minute. Ah non ça c’était la sténo. Dactylo, c’était 60 je crois. Et sans regarder les doigts. Et pis y’avait des lettres aussi. De nombreux courriers que j’ai jamais envoyés à leurs destinataires parce que les écrire, ça me suffisait. Ca faisait comme si je leurs avais dit, après. Comme si les gens le savaient. Ce que je pensais. C’est mon défaut ça. Je crois toujours que les gens sont devins. Et qu’ils lisent dans ma tête. Comme je lis dans la leur.
Celui là, je m’en souviens très bien. C’était en 1984. J’étais en première. La troisième. Troisième première. Oui : j’ai fait trois premières. C’est grave hein !… La première, c’était une première A4. Littéraire quoi. Mais moi j’aimais pas mon nouveau bahut. A Fontainebleau. Par rapport à celui où j’allais. A Paris. Parce que je m’étais faite virer du publique à la fin de ma seconde. Et que comme mes parents étaient de gauche, mais baccalauréat à fond, ils avaient fait une réunion de famille, avec mon père, aussi, le vrai, mon géniteur ; et ils s’étaient tous demandé ce qu’ils allaient faire de moi. Caro. Le vilain petit canard. J’étais déjà le cas Caro dont personne ne savait quoi faire. A l’unanimité, ils avaient décidé de m’inscrire dans ce lycée privé très cher sur Paris. Un truc un peu catho. Mais laïque. Pour une seconde seconde. Parce qu’en plus d’avoir séché toute l’année, j’étais même pas passé. J’adorais ce nouveau bahut entre les Gobelins et Port Royal, où on était quinze par classe, et où les professeurs étaient tellement plus gentils qu’ailleurs qu’on n’aurait jamais dit des professeurs. Même la cantine, rien à voir avec ces réfectoire immenses et bruyants : un vrai petit restaurant. A la fin de l’année, je passais donc en première. Haut la main. Sauf que voilà. A la fin de l’année, on a déménagé. Et vu que ma mère connaissait très bien l’ami de la directrice du bahut le plus réputé de Fontainebleau, j’avais réintégré le publique. Via ce piston. Ce bahut que je détestais. Bourré de fils de bourges. Alors que je venais de Vitry. A la base. A la fin de l’année, c’est donc tout naturellement que je m’étais faite virer pour la deuxième fois du publique. Après trois conseils de discipline. Ce que je n’avais annoncé à mes parents qu’à la rentrée. Pour passer des vacances tranquilles. Sauf que voilà. A la rentrée, y’avait plus aucune place en première littéraire. Parce que là encore, comble de malchance, je ne passais pas non plus. Re comble de malchance : sur tous les bahuts de la ville, il restait une seule place. En première G1. A Blanche de Castille. Une toute petite boite privée sous contrôle d’état, donc moins cher que le privé/privé. Et heureusement, car tout tombait en ruine. A part les profs. Qui avaient presque le même âge que moi. Ma mère avait fait trois chèques. Le lendemain, j’étais dans la cour. Dans ma classe, y’avait que des filles. Sur mon emploi du temps, des matières inconnues : éco générale, éco des entreprises, droit, sténo, dactylo, et sensibilisation aux nouvelles méthodes de télé-communications, comme le minitel, ou encore le fax (lol). Dans les matières normales, y’avait deux heures d’anglais, quatre heures d’histoire-géo. Et quelques heures de français. Pendant lesquels me revenaient de vagues souvenirs d’auteurs et de textes qui avaient du infiltré mes siestes Lagarde et Michardiennes de l’année passée.
La seule fille qu’était comme moi, complètement réfractaire à un bel avenir de secrétaire même de direction, c’était Pascale. Je crois qu’elle et moi, on était trop pareille. On avait d’ailleurs redoublé toutes les deux. Toute façon, dans le privé, y’a pas de limite d’âge. Et mes parents étaient coriaces. J’avais l’avoir ce bac. C’est eux qui me le disaient !!! J’étais donc repartie pour une troisième première. Sauf que voilà. Au début du premier trimestre, mon père était mort. Le vrai. Mon géniteur. J’avais tout arrêté. Pendant trois mois.
C’est à mon retour que tout s’est transformé. Et que je me suis mise à écrire des poèmes.
Celui là donc, j’avais pile 20 ans. C’était un devoir à faire à la maison. Je te le mets parce que c’est mignon, mais je trouve ça tellement scolaire que je me demande pourquoi ma prof de français, après, elle a fait des pieds et des mains pour qu’on me transfert en littéraire. Sans grand succès : en cours d’année, ce n’était pas possible. Et tant mieux. Parce que moi, je voulais surtout pas qu’on me sépare de ma copine Pascale.
J’ai fini par l’avoir. Ce putain de bac qui devait changer ma vie. L’année d’après. En 1985. Du premier coup. A pile 21 ans.
Dans ce poème, je m’adresse à l’être humain. Déjà. Et déjà je crois que je ne l’aime pas. Et pourtant j’ai pas encore fait d’HP. Ni de rue. A l’époque. Donc ça vient pas de là. Chépa. Faudrait que j’en parle à mon psy. Et pis je m’apitoie sur mon sort. Pas bien. J’espère que le fais plus !…
Oui je revois un psy. Chanalyste hein ! Je te raconterai…
Sois indulgent pour le poème. J’étais petite. Quand même…
L’essence des maux
Il y a quelque chose
Je le sais, je le sens
Quelque chose de fragile
Quelque chose de subtile
Quelque chose de puissant
L’infini
L’essentiel
Qu’il faut savoir saisir
Ne jamais laisser fuir
Qui tue une existence
Et la transforme en vie
Mais toi tu es aveugle
Ton esprit est futile
Quand tu ouvres ta gueule
Tu libères l’imbécile
Etre humain je te plains
Car tu n’es que dédain
Objet de pacotille
Qui dans l’ineptie brille
Ton venin me meurtrit
Je n’ai plus foi en rien
Je ne veux que ton bien
Je n’ai que du mépris
Regarde toi et pleurs
Tu n’es que dérision
A moi tu me fais peur
Tu transpires le poison
Ne veux-tu pas comprendre
Que vivre, c’est savoir
Savoir pourquoi tu vis ?
Toi tu préfères attendre
Mais quand tu seras cendres
Il sera bien trop tard
Car là tout est fini
Et pour faire de mon mal
Une mort indolore
Je t’en prie un effort
Prouve-moi que j’ai tort
Crie, hurle, mais réagis
Aide-moi à ne pas mourir
Celui là, c’est beaucoup plus tard. Genre 88. Je sais que j’ai mal à la vie. Mais j’arrive pas à expliquer à mon mari. Avec des mots oraux. Alors un soir, j’essaie de me mettre à sa place. Et de me voir comme il me voit, d’écrire ce qu’il pourrait dire de moi…
Elle
C’était toujours la même rengaine
C’était toujours le même refrain
Une mélodie incertaine
Qui n’avait ni début ni fin
Elle me parlait d’une douleur
Qui lui serrait
Serrait le cœur
Elle me disait qu’elle avait peur
Et je me noyais dans ses pleurs
Je l’écoutais parler des heures
D’une hémorragie intérieure
La plaie saignait en profondeur
Mais je n’étais pas guérisseur
Elle ne croyait pas au bonheur
Elle disait que c’était un leurre
Elle s’enfermait dans son malheur
Comme dans un enfer de douceur
Ce matin là j’étais heureux
Elle disait « demain j’irai mieux »
Dans son sommeil voluptueux
Elle avait l’air d’un ange
Aux cieux
Plus jamais elle n’ouvrit les yeux
En fait c’est le contraire, j’ai ouvert les yeux, et je l’ai quitté. C’était ça ou je finissais à Sainte Anne. C’était la condition siné qua non pour qu’on reste marié. A ce qu’il me disait. Et cette fois, pas question d’en sortir avant totale et complète guérison. Lol non ?