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RÊVE DE LA CHAMBRE SECRÈTE
XXIV
Rêve de la chambre secrète.
Ma vie se passe de maison en maison. Pourtant, chaque matin, quels que soient mon domicile, mon pays, mon adresse, je m'éveille dans la même chambre.
Derrière les volets gris, mes yeux s'ouvrent sur un identique décor : aux murs blancs de ma chambre secrète, aucun miroir ; cinq planches, dans un renfoncement à la droite du lit, font une bibliothèque ; le plateau de la commode en bois sombre est en marbre blanc ; aucun tapis n'orne les lattes claires du plancher ; un petit fauteuil, recouvert d'un drap de lin, tourne le dos à l'angle des fenêtres hautes, sur les carreaux desquelles les rideaux crochetés masquent tout reflet.
Avec la précision des somnambules qui obéissent à un ordre muet, j'ai dessiné ce refuge que les fantômes, ou les rêves, m'ont dicté.
Aucun de mes amants n'entre jamais dans ma chambre. (Si tu n'entres pas dans ma chambre, je n'entrerai pas dans tes pensées.) Sur l'île, je reçois mon amant dans un salon dont le miroir reflète le jardin de citronniers qui envahit les trois fenêtres en face. Les branches des arbres débordent des fenêtres toujours ouvertes, laissant tomber d'énormes citrons sur le sol en pierre.
Lorsque nous faisons l'amour sur la banquette basse qui semble flotter au milieu du salon vide, la porte de la chambre secrète reste fermée. J'ignore à quoi pense l'homme qui me regarde en silence. Ma jouissance survient à la surface lumineuse d'un lac en dessous duquel planent des ombres. Peut-être ― si j'avais accès aux phrases qui se bousculent dans la tête de mon amant ― plongerais-je sous les rayons de midi, dans l'eau froide, parmi les ombres.
Après son départ, je m'enferme dans la chambre secrète où je m'endors, en espérant ne pas rêver.
Hélène Frappat, Par effraction, Éditions Allia, 2009, pp. 54-55.
HÉLÈNE FRAPPAT
Image, G.AdC
■ Hélène Frappat
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