“Des hommes et des dieux” œuvre pernicieuse ou message de salut ? (1)

Publié le 18 octobre 2010 par Hermas

A Monseigneur Masson


Le film Des hommes et des dieux, de Xavier Beauvois, aura été vu jusqu'ici par plus de deux millions de spectateurs français. Primé au Festival de Cannes, salué par nombre d’organes de presse, catholiques ou non, ce film rencontre un succès fort étonnant en cette société, s’agissant d’un film essentiellement religieux.

Cependant, dans les milieux catholiques, les avis le concernant divergent, qui vont de l’enthousiasme absolu à la critique presque radicale. M. Bernard Antony, Président de l’Association Chrétienté-Solidarité, a publié le 28 septembre 2010, sous forme de “communiqué” - comme une mise en garde d’urgence - une analyse qui se rattache pratiquement à celle-ci, sous ce titre évocateur : « Un film certes beau et poignant mais lourd d'influence pernicieuse ». Nous renvoyons les lecteurs à ce texte, pour exprimer ici les raisons de notre désaccord.

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La première chose qui frappe, à sa lecture, est une inversion des perspectives du film. Celui-ci n’est pas un documentaire sur les rapports du christianisme et de l’islam, mais une description de l’itinéraire spirituel de religieux en terre d’islam à l’approche de leur sacrifice consenti. Le “communiqué” consacre moins de deux lignes en son début à ce thème pourtant essentiel et constant de l’histoire racontée, ainsi que quelques pincées en détours de phrases. De surcroît, cette portion congrue le réduit à des éléments esthétiques et psychologiques : un film beau et poignant, mais dont ne semble transparaître aucune dimension théologique – hormis celle de l’erreur. Le mécontentement de l’auteur à propos de l’islam paraît avoir inondé tout le reste. L’objet même du film et le message chrétien qu’il délivre aux milliers de gens qui le voient s’en trouvent dès lors masqués. N’apparaît, lourd, que le poids d’une influence dite « pernicieuse », c'est-à-dire portant au mal. Comment ne pas le regretter, nous qui sommes constamment invités à « reconnaître la magnificence des dons de Dieu » ?  La critique, réductrice, se trouve ainsi être une critique du film sans le film.

A dire vrai, l’auteur du “communiqué” n’est pas seul à pratiquer cette inversion et cet obscurcissement. Mgr Lantheaume, résumait ainsi le film sur Facebook : « D’une manière générale, la question qu'on peut se poser est la suivante : l'ordre cistercien est-il fait pour dispenser des soins à des populations pauvres ? En d'autres termes : quand bien même leurs œuvres seraient "méritoires", le fait... de soigner des gens ou de “sortir” de la clôture en civil, comme ces moines le faisaient entre-t-il dans la règle de Saint Bernard ? Le débat devrait davantage porter sur la vocation monastique propre des trappistes, et non pas sur un éventuel et impossible dialogue avec l'Islam ou bien une recherche vaine des "auteurs" de ce crime abominable... ! ».

Là, c’est la question monastique qui noie le reste, « d’une manière générale ». Ce pourrait être la question liturgique. L’auteur ne s’autorise pas seulement à douter du caractère méritoire des actes de ces moines, oubliant, au surplus, qu’ils se trouvaient en terre de mission, et d’islam de surcroît. Il réduit la dimension spirituelle du film à une question – certes réelle – mais objectivement secondaire. C’est buter sur l’accessoire, fût-il vrai, au risque de perdre de vue l’essentiel qui donne la vie.

« J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli (…) J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger, j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire » (Matthieu 25, 35 et 42). Ces paroles ne sont-elles pas de notre Sauveur lui-même, et ne se rattachent-elles pas, redoutablement d’ailleurs, à un enseignement de première importance ? « Un scribe qui les avait entendus discuter, voyant (que Jésus) leur avait bien répondu, s'avança et lui demanda : “Quel est le premier de tous les commandements ?” Jésus répondit : “Le premier c'est : Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l'unique Seigneur, et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas de commandement plus grand que ceux-là.” » (Marc 12, 28-31). Dans l’ordre même du droit [en lequel entrent les canons de la vie religieuse, comme la discipline liturgique d’ailleurs], « Il n'y a pas de commandement plus grand que ceux-là ». La charité est suprema lex. Elle hiérarchise et met en perspective tout ordonnancement juridique et tout mode de vie, selon les circonstances et les nécessités du prochain. L’Evangile en offre maints exemples. Réduire dès lors un film qui exprime clairement cet amour de Dieu et du prochain [dans et hors du monastère], le sens du Christ, de la vocation et de la croix à une question d’habit, de clôture et de soins donnés à des pauvres en des conditions soi-disant douteuses, témoigne, de notre point de vue, d’un peu plus que d’une profonde méconnaissance du film.

Qu’il s’agisse en tout cas de l’analyse de Bernard Antony ou de celle de Mgr Lantheaume, la disproportion totale avec laquelle sont traités l’essentiel et l’accidentel, leur inversion, voire la réduction de cet essentiel à rien, ou à si peu de chose qu’il ne vaille guère la peine de s’y attarder, ne permettent pas de rendre compte de manière juste de l’œuvre de Xavier Beauvois.

(à suivre)