Les premiers chrétiens : les Actes des martyrs (1)

Publié le 21 octobre 2010 par Hermas

CHAPITRE V: LES ACTES DES MARTYRS


Les Actes des martyrs sont la transcription des procès verbaux rédigés par les autorités romaines et conservés dans les archives officielles, que les chrétiens se sont procurés par divers moyens.

Chaque tribunal avait ses “notarii”, qui recueillaient tachygraphiquement tous les actes des procès, principalement lors des interrogatoires, par le moyen de “notæ” ou de signes d’abréviation. Ensuite, ces notes étaient transcrites en langue vernaculaire, et ces pièces étaient enfin versées aux archives judiciaires.


Cependant, tout le travail de rédaction des actes et leur conservation dans les archives officielles était effectué par des magistrats romains. Beaucoup d’actes furent détruits sous Dioclétien, au 3ème siècle, parce que ce dernier avait constaté que ces récits héroïques enflammaient l’âme des chrétiens et leur donnaient un exemple à suivre dans la souffrance. Il les fit dès lors placer parmi les livres procrits, qu’il ordonna de rassembler et de brûler en place publique.


Leur lecture a fait le plus grand bien aux chrétiens de tous les temps.


SECTION I : ACTE DU MARTYRE DES PROTOMARTYRS ROMAINS


En 64, la chrétienté romaine va littéralement passer par l’épreuve du feu. Une claire nuit de juillet de cette année-là, sous le règne impérial de Néron, un terrible incendie, propagé avec une rare violence, détruisit pendant sept jours les principaux quartiers de la vieille Rome.


La description qu’en a laissée Tacite, dans ses Annales, quelque cinquante ans après les événements, appartient à raison aux pages les plus célèbres de la littérature uiniverselle. Cette célébrité est d’autant plus grande que c’est la première fois, dans cette page, qu’une plume païenne - et rien moins que celle de l’historien romain le plus célèbre - fait état du fait le plus important de l’histoire universelle : le christianisme et la mort violente de son fondateur, le Christ.


1. Tacite, Annales, L. XV, 38-44

« Le hasard, ou peut-être un coup secret du prince [car l'une et l'autre opinion a ses autorités], causa le plus grand et le plus horrible désastre que Rome eût jamais éprouvé de la violence des flammes.

(...)

« De plus, les lamentations des femmes éperdues, l'âge qui ôte la force aux vieillards et la refuse à l'enfance, cette foule où chacun s'agite pour se sauver soi-même ou en sauver d'autres, où les plus forts entraînent ou attendent les plus faibles, où les uns s'arrêtent, les autres se précipitent, tout met obstacle aux secours. Souvent, en regardant derrière soi, on était assailli par devant ou par les côtés : on se réfugiait dans le voisinage, et il était envahi par la flamme ; on fuyait encore, et les lieux qu'on en croyait le plus loin s'y trouvaient également en proie.

(...)

« Et personne n'osait combattre l'incendie : des voix menaçantes défendaient de l'éteindre ; des inconnus lançaient publiquement des torches, en criant qu'ils étaient autorisés ; soit qu'ils voulussent piller avec plus de licence, soit qu'en effet ils agissent par ordre ».

(...)

« Pendant ce temps, Néron était à Antium et n'en revint que quand le feu approcha de la maison qu'il avait bâtie pour joindre le palais des Césars aux jardins de Mécène.

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« Néron, pour consoler le peuple fugitif et sans asile, ouvrit le Champ de Mars, les monuments d'Agrippa et jusqu'à ses propres jardins. Il fit construire à la hâte des abris pour la multitude indigente ; des meubles furent apportés d'Ortie et des municipes voisins, et le prix du blé fut baissé jusqu'à trois sesterces. Mais toute cette popularité manqua son effet, car c'était un bruit général qu'au moment où la ville était en flammes il était monté sur son théâtre domestique et avait déclamé la ruine de Troie, cherchant, dans les calamités des vieux âges, des allusions au désastre présent.

« Le sixième jour enfin, on arrêta le feu au pied des Esquilies, en abattant un nombre immense d'édifices, afin d'opposer à sa contagion dévorante une plaine nue et pour ainsi dire le vide des cieux. La terreur n'était pas encore dissipée quand l'incendie se ralluma, moins violent, toutefois, parce que ce fut dans un quartier plus ouvert : cela fit aussi que moins d'hommes y périrent ; mais les temples des dieux, mais les portiques destinés à l'agrément, laissèrent une plus vaste ruine. Ce dernier embrasement excita d'autant plus de soupçons, qu'il était parti d'une maison de Tigellin dans la rue Émilienne. On crut que Néron ambitionnait la gloire de fonder une ville nouvelle et de lui donner son nom.

(...)

« Néron mit à profit la destruction de sa patrie, et bâtit un palais où l’or et les pierreries n'étaient pas ce qui étonnait davantage ; ce luxe est depuis longtemps ordinaire et commun mais il enfermait des champs cultivés, des lacs, des solitudes artificielles, bois, esplanades, lointains.

(...)

« La prudence humaine avait ordonné tout ce qui dépend de ses conseils : on songea bientôt à fléchir les dieux, et l'on ouvrit les livres sibyllins. D'après ce qu'on y lut, des prières furent adressées à Vulcain, à Cérès et à Proserpine : des dames romaines implorèrent Junon, premièrement au Capitole, puis au bord de la mer la plus voisine, où l'on puisa de l'eau pour faire des aspersions sur les murs du temple et la statue de la déesse.

(...)

« Mais aucun moyen humain, ni largesses impériales, ni cérémonies expiatoires ne faisaient taire le cri public qui accusait Néron d'avoir ordonné l'incendie. Pour apaiser ces rumeurs, il offrit d'autres coupables, et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d'hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Pontius Pilatus. Réprimée un instant, cette exécrable superstition débordait de nouveau, non seulement dans la Judée, où elle avait sa source, mais dans Rome même, où tout ce que le monde enferme d'infamies et d'horreurs afflue et trouve des partisans.

(...)

« On saisit d'abord ceux qui avouaient leur secte ; et, sur leurs révélations, une infinité d'autres, qui furent bien moins convaincus d'incendie que de haine pour le genre humain. On fit de leurs supplices un divertissement : les uns, couverts de peaux de bêtes, périssaient dévorés par des chiens ; d'autres mouraient sur des croix, ou bien ils étaient enduits de matières inflammables, et, quand le jour cessait de luire, on les brûlait en place de flambeaux. Néron prêtait ses jardins pour ce spectacle, et donnait en même temps des jeux au Cirque, où tantôt il se mêlait au peuple en habit de cocher, et tantôt conduisait un char. Aussi, quoique ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières rigueurs, les coeurs s'ouvraient à la compassion, en pensant que ce n'était pas au bien public, mais à la cruauté d'un seul, qu'ils étaient immolés ».


2. L’incendie de Rome d’après Suétone (Vie des Douze Césars, Néron, 38)


« (Néron) n'épargna ni le peuple ni les murs de sa patrie. Quelqu'un, dans un entretien familier, ayant cité ce vers grec: “Que la terre, après moi, périsse par le feu!”, “Non, reprit-il, que ce soit de mon vivant.” Et il accomplit son voeu. En effet, choqué de la laideur des anciens édifices, ainsi que des rues étroites et tortueuses de Rome, il y mit le feu si publiquement, que plusieurs consulaires n'osèrent pas arrêter les esclaves de sa chambre qu'ils surprirent dans leurs maisons, avec des étoupes et des flambeaux. Des greniers, voisins de la Maison dorée, et dont le terrain lui faisait envie, furent abattus par des machines de guerre et incendiés, parce qu'ils étaient bâtis en pierres de taille. Le fléau exerça ses fureurs durant six jours et sept nuits. Le peuple n'eut d'autre refuge que les monuments et les tombeaux.


Outre un nombre infini d'édifices publics, le feu consuma les demeures des anciens généraux romains, encore parées des dépouilles des ennemis, les temples bâtis et consacrés par les rois de Rome ou pendant les guerres des Gaules et de Carthage, enfin tout ce que l'antiquité avait laissé de curieux et de mémorable.


Il regardait ce spectacle du haut de la tour de Mécène, charmé, disait-il, de la beauté de la flamme, et chantant la prise de Troie, revêtu de son costume de comédien. De peur de laisser échapper cette occasion de pillage et de butin, il promit de faire enlever gratuitement les cadavres et les décombres; mais il ne permit à personne d'approcher des restes de sa propriété. Il reçut et même exigea des contributions pour les réparations de la ville, et faillit ainsi ruiner les provinces et les revenus des particuliers ».

(à suivre)