Je m’encroûte. Et ne sais plus écrire. Ou plutôt je crois bien que je n’ai plus le goût d’écrire. Quand je lis les autres blogueurs, les chroniques dans les journaux, tellement de mots, d’idées, de sujets, tous plus intéressants les uns que les autres, auxquels je peux rester accrochée pendant des heures! Je me trouve anémique, du genre télégramme, du genre frugal. C’est à la mode pour les journalistes ou animateurs de dire : « X vient de publier son deuxième roman, elle tient le blogue Y ». J’ai bien hâte d’entendre la première partie de la phrase, mais je ne sais pas si je serais bien fière d’entendre la deuxième partie. Je n’aurais pas honte, je n’aurais pas peur que les lecteurs lisent mon roman, mais mon blogue! Je ne veux pas me juger trop sévèrement, je l’aime bien, moi, il est comme un carnet de voyage, là où on note les routes empruntées, les appréciations de campings, à la limite il peut servir à d’autres voyageurs, mais de là à entendre : « elle tient un blogue » sur le même ton qu’on le dirait pour un journaliste chevronné, reconnu (payé)!
En vérité, ce n’est pas tellement que je ne sais plus écrire ou que je ne trouve pas de sujets, mais c’est que je me retiens, je me censure. Je commence quelques fois et je ne trouve pas que ça vaille de continuer, d’autres auront mieux dit, auront dit plus. Je ne cherche pas toujours à faire sérieux ou utile — si un peu — j’admire ceux et celles qui dissertent longuement et joliment sur les couleurs des arbres au lever du soleil ou des mots d’enfants de leur garçonnet de cinq ans ou encore — quoique je lise moins — ceux qui réagissent à un fait divers, qu’il soit d’ordre politique ou judiciaire, mais je n’y réussis pas, je n’ai rien à dire sur ces sujets-là.
Il y a aussi ces silences que je garde pour laisser aux autres la liberté de vivre leurs propres expériences, de former leur propre jugement. À quoi bon exposer mon parcours s’il se termine pour moi par des rancunes, d’amers souvenirs dont le rappel ne servirait à personne?
Les autres silences, plus difficiles à tenir, naissent de la peur. D’être ridiculisée, ça, je m’en fous, mais peur d’être montrée du doigt, avec dans les yeux un regard haineux. D’être dénoncée en chaire (façon de parler parce que je ne vais plus à l’église, mais mon père l’a déjà été et nous l’avons payé cher). De subir des représailles d’ordre matériel (c’est déjà arrivé). D’être obligée de me justifier. De me faire battre à plate couture dans une bataille d’arguments. Je ne tiens pas à m’aventurer dans des sujets de controverse qui attirent commentaires, débat, tensions. Peur aussi de perdre des contacts précieux parce qu’en parlant d’un tel, tel autre qui exerce le même métier pourrait se sentir attaqué et me rayer de sa liste de « bons contacts ».
Ce dont je parlerais si je n’avais pas peur?
De certains journalistes qui ne posent plus de questions et ne vérifient pas telle ou telle assertion, qui écrivent des demi-vérités.
De certaines personnes en poste d’autorité (douanier, maire, conseiller, directeur, patron) qui vivent comme si nous étions encore en 1950, sous Duplessis : « vient me voir je vais t’arranger ça », « ça reste entre nous, n’est-ce-pas? », « c’est de même que ça marche, que ça fasse ton affaire ou pas », « si tu votes pour moi…»
À force de résister à la provocation, je me demande bien si c’est la peur la raison de mes retenues ou la lâcheté ou la conscience de mes forces.
Mais qu’est-ce que je fais avec mes dents serrées et cette boule dans l’estomac? Ah! oui, c’est vrai, je transpose dans une nouvelle ou un roman.
(photo: pile de journaux)