Vinnie

Publié le 24 octobre 2010 par Banalalban

Y’a un instant de silence puis la Divina se « refait une beauté » et étale une couche impressionnante de fond de teint sur son visage.

Les ampoules autour du miroir de Divina grésillent. La loge est exigüe. On entend les bruits de la ville au travers des cloisons. Un climatiseur ronronne dans un coin. Ça sent la coke brûlée.

« _Le spectacle ne commence que dans cinq heures, pourquoi tu te maquilles si tôt, demande Louise qui est assise un peu plus loin ?

_ Tu sais, Divina, c’est un personnage à part entière. Il m’arrive parfois d’avoir du mal à la saisir. Il faut qu’j’m’y prépare tôt et après ça vient… Je mets du maquillage, je retrouve Divina, et je deviens Divina, juste comme ça».

Puis Divina renchérit : « Va pas croire hein, mais j’me fais pas mal de soucis pour toi Louise, même si ça n'a rien à voir… » et ajoute encore plus de fard à ses paupières défaites.

Louise sourit mais baisse les yeux.

« Tu n’es plus celle que j’ai connue, rajoute le travelo. Celle que je connaissais n’avait pas cette lumière fade dans les yeux… Elle prenait pas des trucs, tant de trucs... Moi aussi j'prends des trucs, mais j'ai pas l'impression qu'ma vie tourne autour ou bien que j'm'y raccroche».

Louise ne sait pas vraiment quoi répondre et au fond d’elle-même elle se fout de ce jugement. Elle continue de tripoter le papier aluminium noircie contenant la c.

« _ Franck m’a invitée dans son bungalow au bord de la mer pour les prochaines vacances. Il m'a dit: "Divina, je veux que tu viennes au bungalow si tu veux, moi je veux", si ça t’intéresse…

_ Ça va pas la tête ? Je suis pas désespérée à ce point là Divina, réponds Louise. Je m’emmerde un peu en ce moment, c’est tout. Le téléphone ne sonne plus : je me dessèche, voilà. C’est pas dramatique. C’est une passade… Et puis merde, tu m’emmerdes… fous-moi la paix avec ton Franck… Je déteste Franck, tu sais que je déteste Franck, fais pas celle qui sait pas que je déteste Franck».

Divina fait la moue devant le grand miroir entouré d’ampoules.

Dans le coin de la loge, une personne toute petite _une dizaine de centimètres_ n'arrête pas de psalmodier : "Louise, personne ne t'aime... Louise, personne ne t'aime...".

« _ Alors moi ma cocotte, j’ai un tout nouveau concept tout joli qui va faire que te faire du bien, Chou… Le concept dit : Jacques a dit : je dis : crève l’abcès…

_ M'emmerde pas Divina….».

Louise se lève et fait tomber le papier d’alu et la poudre s'insère dans les lames du parquet aussi sec, et elle s’en tape : elle le lui en ferait bouffer du papier d’alu à c’te conne.

Pasqualine la tapette lance un coup d'œil vers elles puis tire le pendrillon : elle ne veut pas s'en mêler.

Là-dessus le vigile entre et lance un "ça va les filles ? " comme si de rien n’était.

« _ Oh tu sais ce que c’est : on a nos anglaises aujourd’hui alors on fait chier son petit monde… »

Louise ne réplique pas, ne dit rien qu’elle ferme sa gueule celle-là une bonne fois pour toute, qu’elle s’étouffe avec son maquillage, son bide et qu’elle nous saoule plus…

La Divina s’enroule autour du vigile à la façon d’un boa de graisse. Elle tortille du cul et du cœur comme une écolière.

« _ Franck va pas être content que tu sois pas devant la porte, qu'elle dit….

_ Rien à battre j’ai un bippeur : c’est Francky qui l’a installé. Dès qu’un connard sonne à la porte, ça vibre… »

La Divine part sur un immense rire forcé qu’elle le bouffe celui-là aussi bordel parce que ça fait vachement trop faux et caresse le torse de Vinnie.

« _ Si tu savais Vinnie ce qui moi me fait vibrer…. »

Louise commence à bouillir dans son coin et cherche un moyen de s’enfuir bordel ch’crois que je commence à saturer…

« _ Rêve pas « Pute », j’mange pas de se pain là… T’es bien roulée mais pour m’avoir, il va falloir me payer. Ça se paye de se faire baiser par Vinnie… c'est comme ça: ici les mecs payent pour voir la vieille et pathétique Divina, celle des anciens jours parce qu'ils sont nostalgiques, parce qu'ils se souviennent du bon vieux temps de la transgression et les nanas payent pour se taper Vinnie. Alors y'a pas d'exception, même pour toi, Divina, si tu me désires, tu payes.

_ Quand tu veux... »

Vinnie dévisage Louise qui tente de se faire toute petite.

« _ Qui t’es toi ? »

Alors ça fait comme une petite bulle dans la tête de Louise je suis une fille qui se barre d’ici et qui est plus prête d’y remettre les pieds.

Et elle se barre effectivement. La Divina la poursuit dans le couloir minuscule, laissant en plan son Vinnie. Elle veut pas que Louise prenne la mouche comme ça. Elle veut pas de ses sautes d'humeur. Elle veut pas que sa pote Louise aille mal. Et puis merde, elle reviendra cette camée, elle revient toujours. Alors la Divina s’arrête, un peu essoufflée : elle sait qu’elle n’aurait pas du parler comme ça mais merde, après tout… Elle lance quand même :

« _ Ch’crois juste qu’t’as besoin d’en parler, c’est tout… C’est pour ça que… » qu'elle balance ensuite à Louise qui cavale jusqu'à la sortie.

Puis Divina balance un "grouille-toi" à la Pasqualine qui est à la bourre encore à tortiller derrière le pendrillon et à un peu écouter.

Captée en flag.

Louise claque la porte et se retrouve asphyxiée par l’air libre.

Adossée contre une porte, en pleine rue,  une personne toute petite _une dizaine de centimètres_ n'arrête pas de psalmodier : "Louise, personne ne t'aime... Louise, personne ne t'aime...".