(14) Le coup de poignard

Affichant une mine faussement enjouée, il me rejoignit, livide. Si je tressaillis au contact de son bras autour de mes épaules, je me ressaisis derechef. Il ne devait pas deviner l'ampleur du malaise qui me terrassait. Il m'apprit que Monsieur Losson, missionnaire au service de l'ambassade de France, était venu prendre livraison des antiquités, et qu'il reviendrait le lendemain, à l'aube, chercher les momies. Le lot complet serait expédié en France pour enrichir la section égyptienne du musée Charles X du Louvre. Alors qu'il multipliait les mensonges avec un aplomb extraordinaire, je luttai pour ne pas desserrer les mâchoires. Ses paroles me blessèrent comme autant de coups de poignard.

Muets, Henri et Louis, qui nous avaient rejoints, se détendirent progressivement. Réprimant à grand-peine la nausée qui gonflait au fond de ma gorge, je laissais mon esprit s'évader pour embrasser les colossaux poissons aux lèvres charnues des fontaines d'où jaillissaient des palmiers d'eau verdâtre. Découragée et humiliée, je gardais cependant le secret espoir que les deux momies ne comptent pas parmi les trésors ravis à mes yeux impuissants. Afin de rejoindre mes appartements sans éveiller les soupçons, je prétextai un coup de fatigue. Cette excuse fallacieuse fut accueillie avec soulagement, du moins est-ce l'impression que j'eus alors.

Je sais à présent que je n'ai d'autre alternative que de disparaître, au plus vite et sans laisser de trace. Après la séance de débandelettage, qui doit avoir lieu ce soir, il me faudra voler de mes propres ailes, qui ne m'inspirent guère confiance pour l'instant, je dois bien l'admettre. Mais combien je suis heureuse de ne pas gagner un sou d'un aussi ignoble négoce !

Fin du chapitre ! Suite au prochain épisode dans un tout nouveau chapitre : Les dessous de la momie.