PAS DE COMPROMIS !
(20 octobre 2010, les Matins de France Culture)
Caroline Eliacheff, psychanalyste
On aimerait que les jeunes, les femmes dirigeantes du Women's forum, la gauchese mobilisent, ici et maintenant, pour une cause bien plus urgente que leur retraite, le plafond de verre ou leur élection. Voici les faits: une ancienne sage-femme, Natalia Baleato rescapée de deux dictatures, celle du Chili et de l'Argentine crée il y a vingt ans à Chanteloup les Vignes une crèche ouverte 24h sur 24, 7 jours sur 7 permettant aux femmes seules et à ceux qui travaillent en horaires décalés de faire garder leurs enfants. De plus, les femmes du quartier qui y sont employées peuvent suivre en parallèle une formation professionnelle qualifiante. Institution malheureusement unique qui en fait plus pour la libération des femmes que bien des discours. L'une d'elles, Fatima Afif, qui avait arrêté l'école en 5ème, a obtenu un diplôme d'éducatrice de jeunes enfant avant de devenir directrice adjointe de la crèche. Enceinte, elle arrête de travailler pendant 5ans bénéficiant de deux congés parentaux, preuve s'il en est que la société favorise le retour des femmes les plus modestes à la maison. Il n'empêche, cinq ans plus tard, elle retrouve sa place, mais oh surprise! elle arrive entièrement voilée, n'accepte aucun compromis ce qui, après diverses péripéties entraîne son licenciement pour faute grave. Fatima Afif alerte la Halde pour discrimination, saisit les prud'hommes en réclamant 80.000 euros de dommages et intérêts, ce qui entre parenthèse jette un doute sérieux sur ses motivations. C'est là que l'affaire se corse. La Halde, présidée à l'époquepar Louis Schweitzer, reconnaît la discrimination. Certes, ce n'est pas le président en personne mais un comité qui délivre cet avis. Entre-temps, Louis Schweitzer a cédé la place àJeannette Bougrabà la tête de la Halde mais ses membres sont toujours en place et s'ils devaient re-examiner cette plainte, rien ne prouve que leur position changerait malgré l'avis contraire, fermement exprimé de Jeannette Bougrab. Pour une institution censée lutter contre les discriminations, on observe avec stupéfaction les attaques menées en interne contre cette femme brillante, féministe, fille de harki qui en connaît un bout sur le sujet.
Mais, revenons à Baby Loup. L'avis de la Halde laisse à penser que le principe de laïcité est négociable au nom de la liberté religieuse. Pourtant, les lois existent pour préserver la neutralité notamment dans les écoles. En quoi une crèche financée par des fonds publics y échapperait-elle? En quoi la Halde est-elle légitime à voir de la discrimination quand il s'agit de préserver un lieu public de signes religieux ostentatoires? Les enfants de moins de trois ans seraient-ils insensibles au fait d'être en contact avec des femmes dont ils ne verraient que les yeux? Quel mépris pour leur intelligence!
Natalia Baleato, la fondatrice de Baby-Loup n'est certainement pas une femme commode: on ne soulève pas les montagnes en faisant des compromis. Elle est bien placée pour saisir l'évolution de son quartier face au fait religieux et sa propre fragilité si elle n'était pas fermement soutenue politiquement. C'est très simple: sans elle à sa tête, l'association ne survivra pas, pas plus qu'elle ne survivra économiquement à une condamnation aux prud'hommes.
On ne peut douter que l'issue de cette affaire soit suivie de près par tous ceux qui ont entrepris de tester les limites de la République. Défendre Baby Loup, c'est défendre une certaine idée de la France et de l'émancipation des femmes. Sans compromis!