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L'ARBRE A MOTS
C’est l’heure des « Épouvaffreux », des mercenaires ayant prêté allégeance à Scarabine et Paraboum, très vite devenus chefs incontestés du cimetière.
Depuis leur arrivée à « Une Fois » la villégiature éternelle est ouverte à tous, sans a priori social, moral ou linguistique.
« À Une Fois, quoi qu’il en soit, qui que l’on soit, au repos, tous on a droit ! »
C’est grâce à ce slogan un tantinet aguicheur, inventé par Scarabine, un soir où Paraboum s’ennuyait en faisant des haltères, que la population spectrale est devenue si rapidement cosmopolite. Nombre de trépassés abandonnent désormais leur dépouille mortuaire au cimetière familial de Trifouillis, de Perlimpimpin ou de Pétaouchnock, et sans armes ni bagages, viennent s’installer dans ce cimetière de la liberté.
La Grande Jee Bee, venait de partir en voyage à Hollywood, en compagnie de James toujours nostalgique des studios et de leur vie trépidante, ainsi qu’en témoigne le bouquin de Ben Hech : « Je hais les acteurs » qui trône comme bible, dans la bibliothèque sépulcrale.
Ceci, dit en aparté, cette ouverture d’esprit qui règne dans le petit cimetière ne prévaut pas dans la bourgade des vivants, restée elle, très « petite bourgeoisie de province ».
Ici la vie cache son vrai visage. Ses façades proprettes, ses regards fouineurs et ses corridors reptiliens humides de venin, guettent le naïf imprudent.
Ces vivants n’ont aucune idée de la vie cachée de leur cimetière.
Sauf peut-être, Monsieur le Maire, Victor Vidivici, d’origine italienne et bon vivant, qu’une crise cardiaque avait failli emporter de l’autre côté l’automne passé. Il a vécu ce que l’on appelle une « NDE» ou expérience de mort imminente, qu’il se plait à raconter pour effrayer les vieilles filles et ce bon Monsieur le Curé qui, à coup de goupillon, tente de repousser le démon, lequel lui susurre dit-on, à l’oreille, des envies inavouables de profiter de l’au-delà dans ce cimetière entr’aperçu par Monsieur le Maire. D’autant que ce dernier se plaît à dire, à qui veut l’entendre, qu’il n’a plus peur de la mort depuis qu’il a vu ce que c’était, mais qu’il faut profiter de la vie avant de profiter de la mort.
Revenons à nos « Épouvaffreux ».
Certains soirs, n’importe quel soir, la lune n’a rien à voir là-dedans, vu que c’est Scarabine qui en décide, les « Épouvaffreux » s’en vont par le pays en expédition crépusculaire afin de divertir les vivants, adeptes du « coucou fais-moi peur », de « Une fois », la bourgade, de l’autre côté de la Nationale.
Pour réunir ses troupes, Scarabine souffle un grand coup, et même plusieurs, dans une trompe tibétaine, cadeau d’un Lama trépassé, venu à « Une Fois » pour une petite retraite méditative. C’est qu’elle a du coffre notre Scarabine, malgré sa taille mannequin, sortir un son de cette chose n’est pas à la portée du premier venu.
Mais sous son souffle puissant, un son grave à vous « défibriller » le cœur le plus résistant, résonne dans le soir. Dans le soir… Dans le soir…
Alors, les « Épouvaffreux » s’éveillent et volent la retrouver, en compagnie de Rossinante totalement sous le charme de cette déesse venue des étoiles. Pour la suivre elle abandonne joyeusement le pré spectral de trèfle et de boutons d’or, devenu son quartier général, et retrouvant un brin de jeunesse, se mêle à la troupe joyeuse en trottinant. Un beau tableau !
Sur la place de la « Tombe Ivoire », tombe d’un original mort au Tonkin, entièrement taillée dans l’ivoire de pauvres éléphants victimes de la barbarie humaine et eux-mêmes résidants de « Une fois », tous les « Unefoiriens » sont réunis.
Scarabine, montée sur Rossinante, Paraboum à la tête des « Épouvaffreux » va prendre la parole. Ils agitent alors leurs ailes couleur souffre avec le bruit d’une troupe de Chicoun-Bougnats, moustiques originaires d’Auvergne, semant habituellement la terreur chez les petits ramoneurs.
Scarabine a l’action directe, nous l’avons vu, elle n’aime pas les grands discours. Enrobé c’est pesé, la voilà qui s’écrie en levant son sceptre de grande déesse de l’au-delà :
« Qui m’aime me suive ! »
À peine a-t-on entendu la dernière syllabe, qu’il ne reste plus que poussière sur la place de la « Tombe Ivoire ».
La troupe galope avec entrain, en direction de la nationale, en hennissant, barrissant, gémissant, bref en menant grand bruit.
Dans le château en T, de « Une Fois » la bourgade, vit « Béatrice de la Roche Dure Dure » une aristocrate dont la famille règne sur le pays depuis l’invention du pont-levis, trouvaille que l’on doit à un sien lointain ancêtre.
Souffrant d’une crise d’arthrose, notre vieille demoiselle tente vainement de trouver le sommeil. Béatrice se tourne et se retourne sur sa couche, sous le gémissement des ressorts antédiluviens du sommier.
Enfin, capitulant face à la douleur, elle se décide à se lever.
Elle jette distraitement un œil à la fenêtre pour regarder la nuit et voit arriver, parce qu’elle est médium, la petite troupe de farceurs venus lui tenir compagnie et effrayer la gent domestique bien endormie, elle, au dernier étage de la tour du château.
Dans cette tour, nulle princesse n’attend plus le prince charmant. Tout ça ce sont des histoires pour faire rêver les petites filles, ce qu’elle n’est plus depuis longtemps.
Oui, il y a beau temps que Béatrice de la Roche DD, comme tout le monde la surnomme, a perdu ses illusions quant à se trouver un époux, mais elle ne cèderait pas sa place pour un empire depuis qu’elle fréquente Scarabine, et ses « Épouvaffreux ».
Ces derniers, là-haut, sous la direction de Paraboum, s’en donnent à cœur joie.
Les cris de terreur des domestiques, à présent parfaitement réveillés, glacent la nuit, tandis que Dame Béatrice et Dame Scarabine boivent le thé en échangeant quelques potins.
Elles aiment imaginer ce que sera leur vie, lorsque Béatrice de la Roche DD rejoindra ce petit paradis infernal de « Une Fois », ce qui en toute logique ne saurait tarder vu son âge.
C’est une belle soirée pour Paraboum et les « Épouvaffreux ».
Après que le jardinier, terrorisé par les coups frappés à la porte de sa chambre, ait pris la fuite en chemise et bonnet de nuit, nu pieds, en courant vers le village, ce qui ne pouvait manquer de lui valoir une sérieuse réputation de fêlé ; et que la jeune cuisinière ait mouillé sa literie, la peur étant directement liée au rein ; ils s’en étaient pris à la femme de chambre. Une vieille grenouille de bénitier, fouineuse et médisante, surnommée Folcoche, qui ignorait de sourire et se tenait, en toute circonstance, raide comme la justice.
Que je te cogne dans les murs, que je te déplace un objet, que je te fasse voler un meuble, que je t’agite quelques dessous honteux et rébarbatifs…
Il s’en était fallu de peu que cette pauvresse, devenue hystérique, ait sauté dans le vide pour échapper à ces diableries. Demain, à la première heure, elle se précipiterait à confesse, pour que lui soient absous tous les péchés ayant provoqué cette attaque des formes de la nuit. Le curé aurait alors droit à sa description des incubes venus pour satisfaire ses désirs inavouables.
Oui, de mémoire « d’ Épouvaffreux », ce fut une bien belle soirée !
Les « Épouvaffreux », lassés du jeu, avaient déjà rejoint Rossinante à l’entrée du domaine quand Scarabine, ravie de son changement de dimension, prit congé de Dame Béatrice. Suivie par une troupe fatiguée mais satisfaite, elle rentra à « Une fois » en compagnie d’un Paraboum rejoui.
Là, surprise, Woody Guthrie, qui, depuis son décès, poursuivait inlassablement sa route, venait juste d’arriver. Il l’attendait pour lui présenter ses hommages et lui offrir de chanter les épopées fantastiques de ce cimetière pas comme les autres, dont il avait entendu parler, et où il désirait faire une petite escale.
©Adamante
Sur un mot de F la Marmotte : EPOUVAFFREUX (j'adore !)
Le dessin en haut de page est né à partir d'un texte de Jill Bill.