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L'incroyable destin de Clarisse Manzon (1)

Publié le 26 octobre 2010 par Mazet

Episode 1 : Paris : Mars 1817

Cela faisait deux mois que je grattais dans ce bureau crasseux. « La gazette des deux mondes » avait bien voulu accueillir ma plume. Le salaire n’était pas mirobolant. Mais pour un ancien de Waterloo, manger chaque jour à sa faim relevait du miracle. Le directeur, fondateur et imprimeur de la dite gazette était un brave homme d’une cinquantaine d’années. Il avait amassé un peu d’argent en achetant quelques domaines des biens nationaux. Il en avait investi une partie dans une vieille presse, et trois bureaux de la rue des Lombards. La gazette, si l’on en croyait son titre, se voulait « le reflet des mœurs de l’Europe et des Amériques ». Pour l’instant, elle était surtout remplie des commérages que les « biens placés » du palais des tuileries nous rapportaient. Cahin-caha, la feuille de choux arrivait à survivre et à passer au travers de ciseaux d’Anaïs. A Paris, il ne manquait pas de matière pour remplir notre recto-verso quotidien. Je me rendais, chaque matin, aux halles où les différents commerciaux se réglaient parfois à coups de poings, c’était ma contribution à l’étude du monde des marchands. Un collègue arpentait les quais du Havre où il recueillait des informations croustillantes sur les us et coutumes des Indiens d’Amérique. Apparemment nos lecteurs se régalaient des récits de chasse aux bisons ou rêvaient des champs de coton de Louisiane. Certes à Paris, on parlait beaucoup russe ou prussien, les vainqueurs du petit caporal prenaient leurs aises. Mais, finalement, je prenais goût à cette vie. Chaque semaine, je recevais une lettre de mes parents, me demandant quand est-ce que je comptais rentrer au pays. Le pays, c’était Villefranche-de-Rouergue où mes parents exerçaient le métier de tisserand. Leur plus grand souci était qu’un quatrième « Alvergnat » reprit l’affaire. Je répondais honteusement que mes chefs comptaient sur moi pour quelques mois encore. En effet, j’avais piteusement mentit en leur faisant croire que j’étais encore requis pour des tâches militaires. Je sentais bien, qu’un jour ou l’autre, il faudrait que je reprenne la malle-poste pour l’Aveyron. En attendant, je me soulais de Paris. De l’hôtel de ville à la Montagne Sainte-Geneviève, plus aucune ruelle n’avait de secret pour moi. Muni d’un carnet et d’un crayon graphite, je notais les scènes cocasses, peignais les personnages truculents dont l’histoire enjolivée nourrirait la gazette du lendemain. Il n’était pas loin de dix heures et ma journée avait commencé alors que les maraichers commençaient à déballer leur marchandise, il était temps de faire une pause. J’entrais dans une gargote où j’avais mes habitudes, juste derrière l’église Saint-Séverin. Je m’installais à une table autour de laquelle quatre maçons faisaient subir un mauvais sort à une terrine de porc. Le patron, un Cantalou à la langue bien pendue et à la moustache tombante, m’apostropha immédiatement.

- Tiens, notre écrivaillon corrézien ! Je te sers un pichet, tu taperas dans la terrine avec les autres. Tu es toujours ici ? Si ça continue tes vieux vont te déshériter.

Je soupirai.

- Je vais essayer de gagner encore un ou deux mois.

- Tu es bien de Rodez ?

- A côté, Villefranche-de-Rouergue.

- C’est dommage, tu serais arrivé une heure avant, il y a avait un marchand de cuir de Rodez qui était installé à ta place. Il s’en passe de belle !

Je savais que la situation était loin d’être stable dans ma province natale. Comme partout dans le royaume, les républicains n’avaient pas baissé les bras et luttaient pied à pied contre la terreur blanche.

- Encore une attaque de malle poste ?

- Non mieux que çà, on a retrouvé un personnage important dans la rivière. Il ne s’était pas noyé, puisqu’il avait la gorge tranchée.

- Tu connais son nom ?

- Faldès, Faudès, un nom comme çà ?

- Fualdès ?

- Oui, c’est çà !

Je faillis m’étouffer avec ma bouchée de terrine. Fualdès n’était pas un personnage de moindre importance.

- Tu sais s’il s’agit du père ou du fils ?

- Là, tu m’en demandes trop.

J’imaginais sans peine que la victime devait être Antoine Benardin Fualdès. Ce notable éminent de la Révolution et de l’empire était, dans ses temps de terreur, sans doute devenu un homme à abattre.

Confusément, je sentais que mon séjour parisien allait prendre fin.




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