Magazine Humeur

Homélie de M. l'Abbé Husson aux obsèques de Mgr Masson

Publié le 27 octobre 2010 par Hermas

(23 octobre 2010) 

Traditionnellement, mes frères, l’Eglise ne souhaite pas que l’on prononce un éloge du défunt. Mais en pensant à la parabole des talents, que j’ai souvent citée ces derniers dimanches, je ne peux pas résister à la tentation de l’appliquer à celui qui nous a quittés. Car s’il y a des hommes qui reçoivent sur terre beaucoup de talents à faire fructifier, ce sont bien les prêtres.

Mgr Masson a toujours été droit dans sa soutane, si vous me permettez l’expression, ce que notre quotidien régional n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler [Est-Républicain, 19 oct. 2010]. Après ses débuts de séminaire à Nancy en 1956, il a dû, par fidélité à ses convictions, s’exiler de sa patrie pour gagner la France lointaine. Il a lui-même raconté toutes les difficultés que pouvait rencontrer un jeune prêtre dans les années soixante, et cette fidélité l’a conduit encore une fois à l’exil lorsqu’il décida de rejoindre Mgr Lefebvre à Ecône pour participer à la fondation de ce qu’on a appelé en France le « séminaire sauvage ». Dans cet exil, il n’avait qu’un but : la formation des prêtres dans la fidélité au Christ et à l’Eglise. Et c’est ainsi qu’il devint le premier directeur du séminaire d’Ecône. 

En 1973, il vint à Rome et commença sa longue carrière à la Congrégation pour la Propagation de la Foi, tout en continuant de suivre et de guider de nombreux jeunes prêtres et séminaristes : sa fidélité en faisait malheureusement un paria. Au séminaire français, nous étions particulièrement avertis qu’il nous était interdit de le rencontrer et, à la différence des autres prêtres français résidant à Rome, il n’y était jamais invité. A côté de son ministère romain, il est régulièrement revenu dans sa patrie lorraine, les fidèles de l’abbé Homé à Essey et de l’abbé Hacquard à Neuviller peuvent en témoigner.

Sa retraite en 2007 ne fut pas inactive : son nom apparaît sur internet. De nombreux articles, des commentaires de la Bible, de la Liturgie, des enseignements sur la sainte Vierge et les saints anges l’ont rendu célèbre sur la toile francophone. Sans compter ses souvenirs, son témoignage sur la crise des années soixante et soixante-dix, des faits inédits enfin révélés l’an dernier et qui nous ont montré que cette époque fut difficile pour l’Eglise. Nous avons eu aussi la grande joie de le voir célébrer parmi nous : et comme il me l’avait confié, il avait été particulièrement heureux de fêter à notre autel notre sainte Mère du ciel à Saint-Pierre ce 15 août.

Ce qui marque les quarante-quatre années de sacerdoce de Mgr Masson, c’est d’avoir toujours voulu en conscience servir le Christ dans la fidélité à l’Eglise, ou bien servir l’Eglise dans la fidélité au Christ, cela revient au même : « Le Christ et l’Église, c’est tout un » comme disait Jeanne d’Arc devant ses juges, et Mgr Masson disait en plaisantant, qu’en bon Lorrain, il était du même sang que notre sainte nationale. 

Fidélité au Christ et à l’Église, fidélité au Christ à l’image de cette béatitude que nous entendrons dans la bouche de Notre-Seigneur le jour de la Toussaint : « Heureux êtes-vous lorsqu’on vous persécute à cause de moi » (Matthieu, 5, 11) ; fidélité à l’Église en passant sa vie à faire fructifier les talents reçus, soit dans la formation des prêtres, soit dans le service du Saint-Siège, soit dans l’apostolat auprès des fidèles : nous pourrions donc dire qu’à nos yeux, il a mérité d’entendre les paroles de Notre-Seigneur : « Serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton maître » (Matthieu, 5, 11).

Mais nous ne sommes pas réunis ici pour procéder à une canonisation, même si les cloches ont sonné à la volée selon la coutume de notre diocèse pour l’enterrement d’un prêtre. D’autant plus que Mgr Masson avait une haute idée des vérités de la foi de l’Eglise sur les fins dernières et la nécessité de prier pour les âmes du Purgatoire et que sa piété attendait de nous que nous mettions pour lui notre espérance et notre confiance dans la miséricorde et la bonté infinies du Christ, son Sauveur.

Nous sommes donc réunis pour prier pour un prêtre qui nous a quittés. Les fidèles demandent toujours aux prêtres de prier pour eux, mais souvent les prêtres se plaignent qu’on ne prie pas beaucoup, ou du moins pas assez pour eux. Tout prêtre est un homme, tout prêtre est un pécheur : c’est ce qui fait le mystère du sacerdoce du Christ confié à l’Église. Et parce qu’il a reçu beaucoup de talents, parce qu’il a donné entièrement sa vie au Christ, chacun des péchés d’un prêtre, chacune de ses faiblesses n’en prend que plus d’importance. 

Le prêtre est un expert en péchés des hommes, expert en tentations et en ruses du démon, mais cela ne l’empêche pas de tomber aussi. Rares sont les hommes, même les prêtres, qui apparaissent dans une robe baptismale sans tache devant le Seigneur : saint Padre Pio le savait bien, lui qui se confessait tous les jours, alors qu’il était déjà pourtant devenu un modèle de sainteté pour les prêtres de son époque. 

Face à l’amour infini de Dieu, l’âme du prêtre, au moment de sa mort, ne peut que constater que, parce qu’il s’est donné entièrement au Christ, parce qu’il a été configuré au Christ souverain Prêtre, chacun des moments de sa vie humaine passé sans penser au Christ, sans agir pour le Christ, sans être un ‘autre Christ’ pour les hommes, est un peu comme un vol, en tout cas un manquement à l’offrande totale qu’il a faite de sa vie au Seigneur. 

Le sacerdoce est un trésor confié par le Christ à des vases d’argiles, saint Paul le dit lui-même : « Nous ne nous prêchons pas nous-mêmes, mais Jésus-Christ notre Seigneur, et nous, nous sommes vos serviteurs en Jésus : Dieu a fait luire sa clarté dans nos cœurs, pour que nous fassions briller la connaissance de la gloire de Dieu en la personne du Christ Jésus. Mais nous avons ce trésor dans des vases d’argile, afin que la grandeur appartienne à la puissance de Dieu, et non pas à nous » (II Cor. 4, 5-7). Et même avec la meilleure volonté du monde, un vase d’argile s’use, s’ébrèche, se fend : on peut le recoller, et la grâce de Dieu, par la vie de prière et de sacrements du prêtre, la grâce de Dieu le répare souvent. Mais il n’en reste pas moins que tout prêtre est le destinataire en propre de cette parole de Notre-Seigneur : « A quiconque beaucoup aura été donné, beaucoup sera demandé ; et de celui à qui on a confié beaucoup, on exigera davantage » (Luc. 12, 48).

Chaque jour à la sainte Messe, au bréviaire, le prêtre prie pour les âmes qui se confient à lui. Et au moment où l’heure vient (Jn. 5, 25), au moment où la trompette finale (I Cor. 15, 52) du jugement sonne pour le prêtre, au moment où il se présente pour rendre compte et de sa vie chrétienne et de son sacerdoce devant le souverain Prêtre qui a tout pouvoir pour exercer le jugement (Cf. Jn. 5, 27), à ce moment là, nous devons prier pour celui qui a passé sa vie à prier et s’offrir pour nous.

Oui, mes frères, il nous faut prier, il nous faudra toujours prier et ne pas oublier dans nos intentions Mgr Masson et avec lui tous les prêtres que nous avons connus et aimés, qui nous ont guidés sur le chemin du Christ et servi de modèles dans notre vie chrétienne et pour nous, jeunes prêtres et diacres ici présents, de modèles de vie sacerdotale donnée à Dieu.

Chaque jour, Mgr Masson se confiait à St Michel, particulièrement pour surmonter sa maladie – non pas pour ne plus souffrir mais simplement pour continuer de servir Dieu le plus longtemps possible. St Michel, qui, comme un signe du ciel, est venu saisir l’âme de Mgr Masson le jour-même où l’on commémore dans l’Église la dédicace de son abbatiale au Mont-Saint-Michel. Les tous derniers articles que Mgr Masson a publiés manifestaient sa dévotion profonde envers le Chef de la milice céleste ainsi que les autres Archanges et tous les Anges des cieux.

C’est le même st Michel que nous évoquerons à l’offertoire par deux fois : d’abord comme celui qui, brandissant l’étendard du Christ, introduit les âmes à la béatitude éternelle, puis comme l’intercesseur qui, à la droite de l’autel, pendant le saint Sacrifice, fait monter l’encens et nos prières devant la face de Dieu (Per intercessiónem beáti Michaélis… prière de bénédiction de l’encens.). Et tout au long de la célébration des obsèques, la sainte Eglise ne cesse d’appeler les saints Anges à l’aide pour l’âme chrétienne au moment de sa mort et c’est donc en la présence de la milice céleste que nous accompagnons aujourd’hui Mgr Masson pour son dernier voyage.

« Seigneur Jésus-Christ, Roi de gloire, délivrez les âmes de tous les fidèles défunts des peines de l'enfer ; délivrez-les de la gueule du lion ; que l'abîme ne les engloutisse pas, qu'elles ne tombent pas dans les ténèbres, mais que le porte-enseigne saint Michel les introduise dans la sainte lumière » (Offertoire) : faisons nôtre ce matin cette prière de notre liturgie que nous allons chanter tout de suite. Par l’intercession de St Michel et des saints Anges qui escortent l’âme de celui qui nous a quittés. Par l’intercession de la Très Sainte Vierge que vénérait particulièrement Mgr Masson et qu’il voulait tant faire aimer des fidèles. Au pied de la Croix qui sera bientôt présente plantée sur notre autel par le saint sacrifice de la Messe, présentons nos prières au seul et unique Sauveur, Notre-Seigneur Jésus-Christ : qu’Il accueille son fidèle serviteur que Marie et saint Michel lui présentent maintenant, qu’Il l’accueille dans la vraie vie, dans la sainte lumière, la lumière éternelle dans la compagnie des Saints et qu’Il exauce ainsi la prière de toute la vie de ce prêtre fidèle : « Je veux vous chanter en présence des Anges, me prosterner  devant vous Seigneur, et rendre hommage à votre saint Nom » (Ps. 137, 1-2 : alléluia de la messe de dédicace du Mont-Saint-Michel).


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